Musique sacrée par Philippe Herreweghe : rééditions de la dernière décennie
Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Messe en si BWV 232. Joseph Haydn (1732-1809) : La Création Hob. XXI :2 ; Les Saisons Hob. XXI :3. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Missa solemnis op. 123. Antonín Dvořák (1841-1904) : Stabat Mater op. 58 ; Requiem op. 89. Anton Bruckner (1824-1896) : Messe n° 2 en fa mineur ; Te Deum. Solistes divers ; Collegium Vocale Gent ; Orchestre des Champs-Elysées ; Royal Flemish Phihlarmonic ; Antwerp Symphony Orchestra, direction Philippe Herreweghe. 2011-2019. Notice en français, en anglais, en allemand et en néerlandais. 620’00’’. Un coffret PHI de 11 CD LPH042.
Excellente initiative de regrouper dans un coffret à prix doux huit partitions de musique sacrée, jouées sur instruments d’époque et gravées en plusieurs lieux par Philippe Herreweghe à la tête de ses forces complices, et de retrouver ainsi les splendeurs du Collegium Vocale Gent, dont les prestations sont toujours remarquables. Passage obligé par Bach, pour commencer, dans la Jesus-Christus-Kirche, à Berlin-Dalhem, du 14 au 17 mai 2011, avec une troisième Messe en si, après celles de 1988 pour Virgin et de 1996 pour Harmonia Mundi. La première avait marqué la discographie en raison de sa clarté vitale et de son intelligence architecturale, ainsi que par la prestation qualitative des solistes, au sein desquels figuraient Barbara Schlick et, déjà, la basse Peter Kooij ; ce dernier sera présent dans les trois versions, avec la même aisance. Dans la version de 2011, on retrouve le même côté lumineux, humain, serein, voire contemplatif, que le chef imprime à l’ensemble, à travers un discours expressif que les chœurs, superlatifs, servent à merveille. Avec une excellente équipe de solistes, composée de Dorothee Mields, Hanna Blazikova, Damien Guillon, Thomas Hobbs et Kooij déjà cité.
Ce Bach est de haut niveau, comme le sont tout autant les deux oratorios de Haydn, abordés pour la première fois au disque par Herreweghe, La Création, à Bruges et à Anvers, en novembre 2011 et avril 2012, Les Saisons, à Anvers, en avril 2014. La conception est, elle aussi, lumineuse (une constante chez le chef) dans une Création colorée à souhait, qui illustre aussi bien l’apparition de la nature que l’ordre divin. Le tout défile dans un contexte allégé mais engagé, traversé par une ferveur tonique, distillée par des chœurs harmonieux, un Orchestre des Champs-Elysées en grande forme, et les voix aux accents caressants de Christina Landshamer, Maximilian Schmitt et Rudolf Rosen. On adhère sans réserve. Les Saisons méritent les mêmes éloges. Le 18 décembre 2014, Ayrton Desimpelaere écrivait à leur sujet, dans les colonnes de Crescendo, qu’il s’agit d’une succession de tableaux que Philippe Herreweghe domine avec assurance et intelligence. Chaque soliste possède le registre et le timbre adéquats pour une interprétation juste. (…) L’Orchestre des Champs-Elysées propose une lecture brillante voire éclatante. (…) Mais la richesse réside ici dans l’intonation parfaite du chœur. (…) L’ensemble offre un résultat d’une homogénéité remarquable. La soprano et le ténor sont les mêmes que pour La Création, mais la basse Florian Boesch remplace Rudolf Rosen. Ces superbes œuvres de Haydn, toutes deux Joker de Crescendo, pourraient justifier à elles seules l’acquisition du coffret.
Le monument qu’est la Missa solemnis de Beethoven est une gravure réalisée en Autriche, à Innsbruck, en avril 2013. C’est la deuxième fois pour Herreweghe, après celle de 2010 pour Harmonia Mundi, chaque fois avec son fidèle Collegium Vocale Gent et l’Orchestre des Champs-Elysées, mais avec des solistes différents. Une fois de plus, l’accent est mis sur l’humanité du propos, qui révèle un travail soigné sur la couleur, une fluidité qui fouille les détails instrumentaux, et une expressivité décantée. Le tout servi, une fois de plus, par un chœur à la prestation maximale, et des solistes sans reproches (Marlis Petersen, Gerhild Romberger, Benjamin Hulett et David Wilson-Johnson).
On n’attendait pas vraiment Philippe Herreweghe dans des pages sacrées de Dvořak, un domaine dans lequel les chefs tchèques sont légitimement chez eux. Pour le Stabat Mater de 1877, une page profondément religieuse qui suit la mort des trois enfants du compositeur, les versions de Talich, Smetáček, Bělohlávek, mais surtout Kubelik (DG, 1977), occupent le haut du pavé, sans oublier Sawallisch ni Sinopoli, d’une poignante ferveur engagée (DG, 2001). Herreweghe y distille son habituelle luminosité qui nous touche beaucoup ; il installe, à nouveau à Innsbruck en 2013, un climat rayonnant et profond, avec un Royal Flemish Philharmonic investi, des solistes émouvants (Ilse Eerens, Michaela Selinger, Maximilian Schmitt et Florian Boesch) et un Collegium Vocale Gent en grande forme expressive. Pour le Requiem, créé en 1891, c’est à Bruxelles, au Studio IV de Flagey que l’enregistrement a été réalisé, en mars 2014, avec la même formation. Nous nous tournons à nouveau vers Ayrton Desimpelaere et sa critique pour Crescendo du 14 décembre 2015 : De manière très habile, Philippe Herreweghe manie l’interprétation de ses musiciens avec finesse et clarté tout en allégeant le discours pour au contraire en appuyer l’effet dramatique. Il transcende ici la quête d’une atmosphère triste, funèbre, tout en colorant les voix et les pupitres avec une palette riche. Notre confrère soulignait en même temps les qualités des quatre voix solistes, estimées exceptionnelles et matures. Il s’agit des mêmes que pour le Stabat Mater, Bernarda Fink remplaçant Michaela Selinger.
Le coffret est complété par un dernier disque consacré à Bruckner, pour lequel les avis seront peut-être plus partagés. Philippe Herreweghe avait déjà enregistré la version de 1882, définitive, de la Messe n° 2 au tout début des années 1990 (Harmonia Mundi), avec son Collegium Vocale et l’ensemble Musique oblique. Cette partition, pour chœur mixte à huit voix et un ensemble de quinze instruments à vent, avait séduit il y a une trentaine d’années, encore et toujours, pour la lumière injectée sur la polyphonie et grâce un chœur impeccable, mais aussi pour des tempos plus alertes que ceux élaborés par les chefs de la tradition romantique, comme Eugen Jochum. Dans le présent enregistrement, effectué à la Philharmonie d’Essen en septembre 2019 avec l’Orchestre des Champs-Elysées, le même climat s’installe, avec une sensation accentuée d’allègement. Les mélomanes qui préfèrent une certaine emphase pourront être perplexes ; ce sera affaire de goût et de conception. Le Te Deum de l’Autrichien, créé en 1885, est un majestueux chant de louanges, que Herreweghe sert avec son habituelle fluidité et avec clarté, mais le tempo général, tout aussi enlevé, ôte peut-être à cette page magistrale une partie de l’ardente ferveur injectée par les brucknériens historiques, tels Jochum ou Karajan, par Bernard Haitink ou aussi par Bruno Walter, trop oublié ici. Les solistes, à savoir les sopranos Hanna Elisabeth-Müller (sublime) et Ann Hallenberg, le baryton Maximilian Schmitt (dont la présence dans plusieurs partitions relève de l’excellence) et la basse Tareq Nazmi forment une équipe idéale, bien dans l’esprit de l’œuvre. Ce Te Deum a été gravé à Lucerne, au Palais des Congrès et de la Culture, en août 2012.
Face à un tel ensemble, on ne fera de toute façon pas la fine bouche : le bonheur de multiples heures d’écoute renouvelées est garanti, dans un son qui rend justice aussi bien aux voix qu’aux instruments. Ce coffret pourrait être un excellent cadeau pour les fêtes qui s’annoncent. A offrir, ou, égoïstement et sans complexe, à s’offrir !
Note globale : 9
Jean Lacroix