Une invitation du Sollazzo Ensemble dans un jardin médiéval florentin
Florence 1350. Un jardin médiéval florentin. Airs de Paolo da Firenze, Donato di Firenze, Francesco degli Organi (Francesco Landini), Bartolino da Padova, Andrea da Firenze, Vincenzo da Rimini, Giovanni da Firenze, Jovannes de Florentia (?), Lorenzo da Firenze et Anonymes. Sollazzo Ensemble, direction Anna Danilevskaia. 2020. Livret en français et en anglais. Textes des airs en langue originale, traductions en français et en anglais. 57.21. Ambronay AMY 055.
Après un récent détour par Louvain et son Chansonnier vieux d’il y a cinq siècles et deux CD plus anciens consacrés aux chansons des XIVe et XVe siècles, l’un chez Linn (« Parle qui veut », Diapason d’or de l’année 2017), l’autre déjà chez Ambronay (« En seumeillant » en 2018), l’Ensemble Sollazzo propose cette fois un voyage à Florence. Fondé à Bâle en 2014, ce groupe constitué dans le présent CD de quatre chanteurs (les sopranos Perrine Devillers et Yukie Sato, le contreténor Andrew Hallock et le ténor Vivien Simon) et de quatre instrumentistes (Christoph Sommer au luth, Roger Helou à l’organetto, Franziska Fleischanderl au psalterion et Sophia Danilevskaia à la vièle à archet, cette dernière assurant aussi la direction musicale), s’est spécialisé dans le domaine de la musique ancienne. Il s’est déjà produit dans notre pays, notamment au Festival Laus Polyphoniae d’Anvers et au Festival Musica de Bruges, dans des programmes où rayonnaient l’intimisme et le raffinement.
C’est la directrice musicale, Anna Danilevskaia, qui signe la notice éclairante du livret, en commençant par une jolie histoire : un matin de 1389, un musicien aveugle et multi-instrumentiste décida de relever le défi de faire taire les oiseaux par la beauté de son jeu à l’orgue. Cette prouesse tentée par Francesco degli Organi, plus connu de nos jours sous le nom de Francesco Landini, se serait déroulée dans un jardin florentin appelé « Il Paradiso ». Ce compositeur (c. 1335-1397) était amateur de philosophie et proche du poète Pétrarque ; il jouissait d’une grande réputation qui s’étendait loin en Europe. Trois pièces de Landini sont ici présentées, une instrumentale, et deux chansons, dont l’une, intitulée Adiou adiou, galante et gracieuse, rappelle son aîné de trente ans, Guillaume de Machaut ; ces moments sont délectables. Comme le sont tout autant d’autres de ce florilège délicat qui s’ouvre par un madrigal qualifié de « politique » car il célèbre avec joie une victoire de Florence contre les Visconti de Milan et la conquête de Pise. La notice rappelle combien la culture concernait à cette époque la cité toscane où « plus des deux tiers de la population masculine savaient lire » et étaient donc capables de ressentir et d’apprécier un art musical distingué et l’univers poétique dont il était imprégné. Au fil du programme, on découvre avec ravissement le lever du soleil, le parfum dégagé par les fleurs, le nom d’une femme aimée, ou encore une scène de chasse qui s’achève par le sommeil. La musique sacrée y occupe une place à travers un chant de louange ou un mouvement de messe. La mythologie n’est pas oubliée non plus, Didon est là !
Dans cet univers à la fois diaphane, lumineux et lyrique, l’auditeur baigne dans une sorte de féerie musicale, agrémentée par la sonorité et la virtuosité des instruments anciens comme par les lignes mélodiques et ornementées des voix, d’une absolue sensibilité. Tout en fin de séduction globale, on trouve ce que la notice signale être une rareté : un texte qui « se déploie en un canon impliquant non pas deux voix, mais trois ». C’est l’évocation d’une chasse colorée, qui englobe la plupart des caractéristiques de la musique de cette époque à Florence, à la fois enflammée et distinguée. On se régale !
Les amateurs de musique ancienne seront enchantés par ce CD enregistré en juillet 2019 dans l’ancienne abbaye d’Ambronay, fondée au XIe siècle, située dans le département de l’Ain, en région Auvergne-Rhône-Alpes, d’autant plus que le Sollazzo Ensemble reconstitue toute cette atmosphère florentine avec une subtilité des nuances et des couleurs variées qui donnent envie de prolonger avec eux cette trop courte visite dans un délicieux jardin de la capitale toscane où il devait faire bon vivre !
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 10
Jean Lacroix