Une Iolanta futuriste à Metz : pourquoi pas ?

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Terminé en 1752, l’Opéra de Metz est le plus ancien théâtre lyrique français en activité. Sa ravissante bonbonnière, érigée sur un bras de la Moselle, en fait le cadre idéal pour un opéra au charme aussi intime que la Iolanta de Tchaïkovsky.

Contraste total avec la mise en scène très futuriste du jeune Allemand David Hermann: après une très inutile et pour tout dire énervante intervention d’un narrateur (Sébastien Dutrieux) double du médecin maure Ibn-Hakia, par bonheur sous-tendue par de fort belles images vidéo, nous voyons l’aveugle princesse Yolande enfermée dans une cage roulante, isolée dans un monde hospitalier futuriste, totalement coupée du monde, et dorlotée par des femmes plus infirmières psychiatriques que gentilles copines. On pense très vite à Star Wars (les costumes) ou à Orange mécanique (l’ambiance). Tout reste aseptisé : le père, le “bon Roi René”, se montre plutôt despote, et le médecin maure Ibn Hakia, personnage-clé, insaisissable. L’univers de la jeune princesse est un enfer blanc et noir, impitoyable. Cruciale, la rencontre de Vaudémont et de Iolanta se cristallise autour du don d’une rose cueillie sur le tourniquet de la cage, cadeau intime et abandon volontaire du passé de la princesse solitaire : une très belle idée. C’est alors que les intenses lumières dorées caressent le corps de Iolanta (magnifique travail de Bernd Purkrabek) : elle veut voir ! C’est l’heure merveilleuse de la découverte de l’amour, celui de son père longtemps étranger et celui ensuite de son amant, tout nouveau et follement désiré. Mise en scène étrange peut-être, novatrice certainement, mais en accord total avec le cheminement de l’héroïne, d’un emprisonnement familial vers la liberté acquise en totale liberté joyeuse. Remarquable interprétation musicale des solistes, Gelena Gaskarova en tête, qui allie parfaitement la naïveté initiale à la force découverte par l’amour. Le Vaudémont de Georgy Vasiliev, lyrique à souhait, faisait fière équipe avec son ami Igor Gnidii, un Robert, duc de Bourgogne, puissant baryron qui fit grande impression. Côté grave, Mischa Schelomianski, acteur fier et redoutable, entonna sur un prie-dieu le grand air du Roi René pour le plus grand bonheur d’un public ravi, tandis que Evgeni Liberman, au timbre étonnamment léger, incarnait un Ibn-Hakia plus inquiétant que rassurant. Jacques Mercier a dirigé un orchestre estimable, aux jolis soli instrumentaux (violon solo, la flûte introduisant l’hymne final), mais manquant un rien de la finesse requise pour un opéra si délicat. Ceci n’enlève rien à la réussite d’une soirée magnifique, dédiée à l’oeuvre finale (créée la même soirée que Casse-Noisette !) d’un immense musicien, oeuvre emplie d’une émotion unique et rare, que tous les interprètes ont réussi à rendre dans un cadre visuel exceptionnel. Aux côtés d’Eugène Onéguine, Iolanta est l’opéra le plus tendre de Tchaïkovsky, le plus émouvant aussi. Il est à espérer que nous le verrons plus souvent encore.
Bruno Peeters
Opéra de Metz, le 12 avril 2013

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