Une (re)découverte bienvenue : Görge le rêveur à Nancy

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Quelle belle soirée, musicale, vocale et scénique. Mais avant de justifier cette affirmation heureuse, il est, je pense, nécessaire de s’attarder un peu sur la genèse de ce Görge le rêveur.

 C’est un opéra d’Alexander von Zemlinsky (1871-1942) dont on connaît peut-être Le Nain, Le Roi Candaule et Une Tragédie florentine, des œuvres peu représentées… sinon à Nancy justement ! Chef d’orchestre applaudi et professeur reconnu, Zemlinsky fut très proche de Schönberg (devenant même son beau-frère) qu’il ne suivra cependant pas dans ses innovations radicales (cet opéra en est la preuve). Il sera aussi l’ami de Gustav Mahler. Menacé par l’arrivée au pouvoir des nazis, il devra s’exiler aux USA. Il y mourra.

C’est justement Mahler, alors directeur de l’Opéra de Vienne, qui, en 1906, lui passe commande de l’œuvre. Mais Mahler quitte Vienne et l’œuvre n’intéresse pas le nouveau directeur. On va l’oublier longtemps : il faudra attendre octobre 1980 pour qu’elle soit enfin créée à l’Opéra de Nuremberg. L’Opéra de Lorraine, en coproduction avec l’Opéra de Dijon, en assure la première représentation en France.

Cette œuvre nous plonge dans l’univers des contes de fées. Son livret est d’ailleurs inspiré d’un cycle de poèmes d’Heinrich Heine (Der arme Peter) et d’un conte de Richard von Volkmann-Leander. 

Un conte de fées ? Oui, on en retrouve la structure typique, jugez-en : Görge, un personnage décalé, « rêveur », méprisé par les siens, inadapté aux réalités, ne vit que dans des songes nourris par des contes. Il part en quête d’une princesse qui lui est apparue, comme si quelque part le réel pouvait concrétiser les rêves. Pas mal d’épreuves l’attendent, la déchéance même. Mais une « bonne fée », qui a d’abord la réputation d’une sorcière, et la prise en main de son existence vont lui permettre d’accéder à l’épanouissement : il reviendra au village, et la réalité cette fois le comblera.

La musique de Zemlinsky nous plonge dans une atmosphère onirique. Covid oblige, c’est dans une adaptation pour orchestre de chambre due à Jan-Benjamin Homolka que nous la découvrons. Une « réduction » qui a pour conséquence de multiplier les interventions quasi solistes des musiciens, de nous proposer davantage de nuances sans doute dans les traits et de créer une balance plutôt confortable pour les chanteurs. Pas de grands déferlements cataclysmiques dans cette partition, mais des moments qui suscitent la rêverie, hypnotiques même parfois… La jeune cheffe Marta Gardolinska en fait bien ressentir la délicatesse et la précision expressive -ce que les passages instrumentaux nous ont permis de confirmer. Cette musique-là nous a révélé tous ses charmes rêveurs !

Quant aux chanteurs, ils ont tous été à la mesure de la partition et du livret. Si Daniel Brenna installe, sans mièvrerie et en belle évolution, vocale et scénique, son personnage de rêveur, Helena Juntunen réussit en quelque sorte une double sinon triple composition. En effet, la (bonne) décision a été prise de confier à une seule interprète les rôles de la Princesse et de Gertraud (la sorcière et la bonne fée), ce qui permet à la soprano de multiplier la performance et les apparences vocales. Quelles présences -un pluriel bienvenu. J’ai été particulièrement sensible aussi au couple « réel » (en contraste avec celui d’abord rêvé par le rêveur) de Grete (Susanna Hurrell) et Hans (Allen Boxer), ainsi qu’au meunier d’Andrew Greenan et à l’aubergiste de Kaëlig Boché.

Mais dans une soirée à l’opéra, les images sont essentielles, et celles qu’a « rêvées » et concrétisées Laurent Delvert, le metteur en scène, sont réussies : elles accomplissent l’atmosphère du « conte merveilleux » dans la mise en place, dans l’installation en lignes de force (ou de faiblesse -ah ! Görge à l’acte I) et les déplacements des protagonistes. Jolies fleurs colorées suspendues, flammes et feux, ruisseau bruissant, superbe champ de blé. La scénographie de Philippine Ordinaire et les lumières de Nathalie Perrier -la « dream (!) team » de Laurent Delvert- y ont évidemment leur juste rôle. 

Quel beau livre d’images sonores nous avons feuilleté à l’Opéra de Lorraine.

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : Jean-Louis Fernandez

Nancy, Opéra National de Lorraine, le 30 septembre 2020

 

 

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