Autour de Görge le rêveur, le Salon des Dissonances

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Il est exceptionnel d’entendre au concert un programme moderne, ambitieux, composé exclusivement d’ouvrages écrits pour instruments à vent (avec le piano pour la deuxième pièce). Aussi, quelle heureuse idée d’offrir ces œuvres au lendemain de la première dijonnaise de Görge le rêveur [Der Traumgörge], le troisième opéra de Zemlinsky, achevé en 1906 mais créé seulement en 1980 à Nuremberg, et donné pour la première fois en France, à Nancy et Dijon, coproducteurs ! Ce soir, les musiciens des Dissonances -par ailleurs solistes de formations prestigieuses- jouent sans la présence tutélaire de David Grimal. Il est vrai qu’aucune œuvre ne fait appel au violon, et que les interprètes n’ont plus à faire la démonstration de leur indépendance, comme de leur capacité à se fondre dans les ensembles les plus harmonieux.

Le Quintette à vent opus 26 de Schönberg est redoutable. Par son exigence de virtuosité, de précision, déjà, mais aussi par son écriture, première œuvre d’importance où l’artiste-théoricien ose appliquer sa toute nouvelle musique à douze sons à une ample composition qui épouse le moule le plus conventionnel. Dès le premier mouvement, l’écoute mutuelle, la dynamique, l’articulation forcent l’admiration. La complexité rythmique semble un jeu d’enfant pour les musiciens. Le scherzo, où la petite flûte apparaît, est délicieux, souriant, chargé de bonne humeur. L’adagio se signale par la lisibilité de ses échanges et de ses contrepoints, qui participent à l’expression. Le rondo qui tient lieu de finale, pour n’être pas celui d’un concerto de Mozart, permet à l’auditeur de retrouver le refrain avec bonheur. Une œuvre-clé, trop peu connue, a trouvé là des interprètes exemplaires.

Caractère radicalement différent du trop court Jagdstück de Zemlinsky, œuvre tonale, de commande, chargée de séduction, qui ne laisse pas présumer la détresse du compositeur peu avant sa disparition. Les deux cors, ensemble ou se répondant, dialoguent avec le piano. La thématique n’est pas sans rappeler celle du romantisme allemand, de Schumann tout particulièrement, sans autre prétention que de plaire. Après un premier mouvement allant et une parenthèse retenue, nostalgique, nous retrouvons l’esprit du début. Admirables instrumentistes, dont la connivence et le plaisir sont manifestes.

L’œuvre d’Enesco souffre de l’ombre du virtuose, et c’est bien dommage qu’elle soit si mal connue, particulièrement sa musique de chambre. Son Dixtuor opus 14, double quintette à vent, où nous avons un cor anglais et un hautbois pour deux instruments de la formation traditionnelle, est la seule œuvre réellement contemporaine de l’opéra de Zemlinsky, les deux précédentes datant respectivement de 1924 et de 1939. La formation est inaccoutumée, et peu nombreux sont les musiciens qui, depuis Mozart, ont osé écrire pour des ensembles à vent de cette ampleur (Richard Strauss, Dvorak, Stravinsky, Milhaud…). Son langage très personnel, tonal, est paré de riches harmonies et use avec un art consommé des timbres et de leurs mixtures. Si le premier mouvement, insouciant, agreste, frais, s’écoute avec bonheur, ce sont les épisodes contrastés du deuxième qui séduisent le plus, avec ses merveilleux solistes (le magnifique cor anglais, les flûtes, le basson…). Le dernier est adorable, réjouissant, fluide comme rythmé. Le public ne s’y trompe pas qui réserve de longues acclamations à nos virtuoses.

Dijon, Auditorium, le 17 octobre 2020

Crédits photographiques : Opéra de Dijon, Gilles Abegg

Yvan Beuvard

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