Une réussite totale, une vraie conception

par

JOKERWolfgang Amadeus MOZART
(1756-1791)
Don Giovanni

Bo SKOVHUS (Don Giovanni), Kyle KETELSEN (Leporello), David BIZIC (Masetto), Colin BALZER (Don Ottavio), Marlis PETERSEN (Donna Anna), Kristine OPOLAIS (Donna Elvira), Kerstin AVEMO (Zerlian), Anatoli KOTSCHERGA (Il Commendatore), English Voices, Freiburger Barockorchester, dir.: Louis LANGREE, mise en scène : Dmitri TCHERNIAKOV.
2 DVD-187' + 27' (bonus)- Enregistré en juillet 2010 au Festival d'Aix-en-Provence-Synopsis en anglais, français et allemand-Chanté en italien- Sous-titres en italien, anglais, français, allemand et espagnol-Belair Classiques BAC080.
Pendant l'ouverture, le rideau se lève sur une grande chambre aux lambris en bois, tapissée de livres. Au milieu trônent une table imposante et huit sièges. Entre le Commandeur qui s'installe en bout de table, puis tous les personnages en costumes contemporains qui vont, chacun, se présenter au Maître des lieux. Rideau. Impressionné par cette entrée en matière inusuelle, le spectateur suivra l'action avec une attention soutenue, de plus en plus passionnée. Car tout est passionnant dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov dont on admirera l'intelligence fulgurante -que j'avais déjà pu apprécier dans le répertoire russe (Eugène Onéguine, Kitège). On remarque d'abord une formidable direction d'acteurs. Chaque rôle, y compris ceux qui dramatiquement sont moins immédiats (Don Ottavio, Masetto) se voit détaillé avec précision et chaque caractère est puissamment sculpté. Dès lors les interprètes se surpassent, quitte à parfois un peu surjouer (Don Giovanni, Zerlina). Les trois femmes affrontent non seulement Don Juan mais surtout leurs propres fantasmes. Leur fragilité est subtilement mise en lumière, jusqu'à l'étrangeté. La tension est constante, jusqu'à la confrontation finale. La mise en scène, ainsi soutenue par le jeu même des chanteurs, peut alors se déployer sans peine et témoigner d'une conception personnelle, originale. Don Juan, introduit dans cette famille stricte mais bizarre, incongru catalyseur, révèle trop de secrets inavoués : il sera férocement exclu du monde lors de la scène finale, malgré l'empathie que lui témoignent ces dames. Bo Skovhus, pas fort rasé et qui se paie un physique parfois névrosé à la Jack Nicholson, est fascinant : son air du champagne, à titre d'exemple, est inouï de virtuosité aussi théâtrale que musicale. Une perle. Le Leporello de Ketelsen, nargue et se moque mais semble avoir peur de son maître. Il décline bien son catalogue devant Donna Elvira. Celle-ci, ravissante Kristine Opolais, chante superbement (un Mi tradi d'anthologie), découvre un décolleté terrible au finale du premier acte et surtout incarne un personnage émouvant, loin de la mégère jalouse que l'on présente trop souvent. Cette humanité est conférée aussi à la très musicale Donna Anna de Marlis Petersen qui déshabille son fiancé pendant Or sai chi l'onore. Pauvre Don Ottavio à qui on redonne bien ses deux airs mais qui les chante de manière un peu trop terne (sans doute boit-il trop de whisky). Le second couple est bien sûr dominé par une Zerlina très friponne : elle s'abandonne lors du célèbre duo La ci darem la mano, mais n'hésitera pas à cracher sur Don Juan agonisant. Quant à Masetto, latin lover à coup sûr et donc très jaloux, David Bizic l'interprète avec la fougue rustre qu'il requiert. Reste ce Commandeur, chanté par un illustre Boris ou Dosiféi, basse profonde et parfaitement en place, en parrain de la famille. Curieusement, il apparaît au cours de l'opéra, par deux fois, pour consulter gravement un livre de la bibliothèque, puis se retirer aussitôt. Dans la scène finale, qui renoue avec le tableau familial de l'ouverture, il serrera la main de Don Juan, qui s'écroulera victime d'une attaque (de cette main ?), sans vraiment mourir sur scène. Si l'on ajoute une réalisation cinématographique impeccable et la direction totalement empathique de Langrée, l'on arrive à une très belle réussite dramatique et musicale, qui rend le chef-d'oeuvre mozartien plus prenant que jamais.
Bruno Peeters

 

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