Unsuk Chin, portrait à la berlinoise 

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Unsuk Chin (née en 1961) : Concerto pour violon n°1, Concerto pour violoncelle, Le Silence des sirènes,  Rocaná, Chorós Chordón, Concerto pour piano. Christian Tetzlaff, violon ; Alban Gerhardt, violoncelle ; Sunwook Kim, piano ; Barbara Hannigan, soprano ; Berliner Philharmoniker, direction : Myung-Whun Chung, Daniel Harding, Sakari Oramo, Sir Simon Rattle. 2005-2022. Livret en anglais et allemand. 1 coffret BPHR 230411 

Venant après un premier coffret consacré à John Adams, compositeur en résidence de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, la prestigieuse phalange fait paraître un nouvel objet discographique consacré à la compositrice Unsuk Chin. Cette dernière, Berlinoise de résidence et fidèle protagoniste de la scène musicale locale, joue un peu à domicile.

Depuis 2005, sa musique est régulièrement programmée par la phalange et le label des Berliner Philharmoniker peut ainsi nous proposer 6 superbes partitions tantôt concertantes ou solistiques et purement symphoniques, issues de concerts enregistrés entre 2005 et 2022  

Comme toujours avec les coffrets des Berliner Philharmoniker, l’objet est superbe et on admire le jeu cinétique et mobile du graphisme de couverture et les couleurs vives qui s’en dégagent. Justement à l’écoute des œuvres proposées, mobilité, mouvement et couleurs sont les dénominateurs de toutes les partitions proposées, fruits d’une imagination débordante.  

Le coffret permet également d’apprécier l’évolution de la compositrice vers une liberté totale dans son geste créateur. Le Concerto pour piano de 1995 marque encore une influence de György Ligeti, professeur de la compostrice dans le foisonnement d'idées et l’écriture solistique. On monte d’un cran avec deux merveilles : le Concerto pour violon (2001) et le Concerto pour violoncelle (2009).  Le Concerto pour violon avait marqué l’évolution de la compositrice et il avait été couronné d’un prix Grawemeyer. Si la forme est structurée en quatre mouvements, le ton est fascinant par la texture miroitante d’une écriture aérée et finement travaillée. Violon et orchestre dialoguent, s'enlaçant, se séparant puis se rejoignant dans une fusion des timbres absolument magiques. Le Concerto pour violoncelle (2009) poursuit cette fabuleuse recherche sur le son avec cette beauté du matériau instrumental et cette capacité à faire dialoguer l’orchestre par strates ou à mener des fusions magistrales des timbres tantôt irisés et éclatants, tantôt éruptifs voire magmatiques. Dans ces deux partitions, on aime cette pointe fine qui travaille et fignole les facettes lumineuses d’un diamant. 

La voix est une source d’inspiration pour la compositrice. Les plus chanceux ont pu voir sur scène son opéra d’après Alice au pays des merveilles, l'une des grandes œuvres de notre époque. Le Silence des Sirènes (2014) est un concerto pour soprano, taillé sur mesure pour les capacités de la chanteuse  Barbara Hannigan. La voix pure et brute est au cœur de la démarche avec des morceaux du texte composé d'extraits de l'Odyssée d'Homère et d'Ulysse de James Joyce. Il faut saluer la virtuosité de la partition et la qualité technique, mais c’est un peu démonstratif : Hannigan fait du Hannigan avec certes des facilités déconcertantes mais au final cela en devient une forme de routine déclinée au fil des oeuvres composées pour la virtuose.  

On termine cette évocation avec deux œuvres purement orchestrales, Rocaná  (2006) et Chorós Chordón  (2017). Si la technique est évidemment encore brillante avec un sens des timbres et des sonorités admirables, on est moins convaincus comme si seule face à la machine orchestrale en restait à une conception par blocs sans la formidable liberté des partitions concertantes.  

Les interprètes donnent le meilleur avec des solistes extraordinaires : Christian Tetzlaff au violon, Alban Gerhardt au violoncelle et Sunwook Kim au piano. Bien évidemment, les Berliner Philharmoniker, rompus aux partitions les plus exigeantes, sont des interprètes d’élite pour une musique autant gorgée de couleurs et techniquement subtiles. Le commentateur contemporanéiste pourra comparer les lectures des concertos pour piano et pour violoncelle avec l’enregistrement des mêmes solistes mais avec le Seoul Philharmonic Orchestra (DGG). 

Dans tous les cas, ce coffret est proposé avec la qualité habituelle des éditions du Philharmonique de Berlin : le son est proposé en CD et en fichiers numériques HD et l’image des concerts est disponible en Blu-Ray. Notons que la partie vidéo est complétée par 45 minutes d’entretien avec la compositrice. Un coffret majeur d’une grande artiste de notre temps. 

Son 9/10 - Livret 10 - Répertoire 9/10 - Interprétation 10 

Pierre-Jean Tribot

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