Vivaldi et les voluptueuses saveurs du basson

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Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos pour basson et orchestre, volume V : RV 467, 476, 479, 481, 486, 489 et 497. L’Onda Armonica ; Sergio Azzolini, basson et direction. 2018. Notice en français, en anglais, en italien et en allemand. 77.29. Naïve OP 30573.

 

La vaste entreprise de l’Edition Vivaldi, qui tend à graver près de 450 ouvrages, pour la plupart inconnus et issus des archives de la Bibliothèque nationale universitaire de Turin, compte déjà à son actif une série de remarquables enregistrements répartis par thèmes : œuvres théâtrales, musique sacrée, musique de chambre et concertos. Dans ce dernier domaine, le label Naïve en est au cinquième volume consacré au basson. Dans le catalogue vivaldien, c’est à ce dernier instrument que le compositeur a consacré le plus grand nombre de concertos pour soliste, comme le précise la notice signée par Cesare Fertonani. On en dénombre trente-neuf, tous parvenus, à l’exception d’un seul, sous la forme de partitions autographes, et composés en une quinzaine d’années se situant entre la moitié des années 1720 et la fin des années 1730. Quatre albums en ont déjà proposé vingt-six, Sergio Azzolini étant chaque fois au basson et à la direction. Sept autres concertos viennent s’ajouter grâce au présent tome V. Les trois premiers disques de la série ont été gravés avec l’Aura Soave Cremona. Le nouveau, comme le numéro IV, est le résultat de la collaboration du même soliste avec L’Onda Armonica, ensemble à géométrie variable, fondé en 2013 par Sergio Azzolini lui-même, sous une appellation qui évoque l’univers de Vivaldi, en écho à des airs où l’onda est évoquée, notamment dans l’Orlando furioso ou dans des cantates. L’Onda Armonica a déjà participé à un autre projet, le volume III des Concertos pour violoncelle de la même édition, avec Christophe Coin.

Originaire de Bolzano (°1967), Sergio Azzolini a étudié notamment avec Klaus Thunemann (on se souvient des magnifiques disques Vivaldi de ce dernier pour Philips) et a travaillé avec plusieurs formations spécialisées en musique ancienne. Il poursuit une prestigieuse carrière internationale de soliste, tout en enseignant depuis plus de vingt ans à la Hochschule für Musik de Bâle. Pour ce projet Naïve, Azzolini précise, dans un échange avec Susan Orlando repris dans la notice, que Vivaldi est capable d’émouvoir en écrivant une musique extrêmement simple et en même temps incroyablement profonde. On lira dans cet entretien la manière dont il abordés les œuvres ici présentées, notamment son choix d’un orchestre à cordes auxquelles des vents viennent s’ajouter, à la manière de l’Allemand Johann Georg Pisendel (1687-1755), avec lequel le Vénitien a été longtemps en contact. Les pages ici proposées auraient été composées en priorité pour de talentueux instrumentistes de théâtre ou de cour, comme celle du comte Wenzel von Morzin à Prague, qui comptait à son service le virtuose Anton Möser. 

Quoiqu’il en soit de ces passionnantes possibilités d’exécution du temps, les partitions de ce volume V nécessitent une virtuosité de haut niveau, en raison de leurs difficultés techniques, de l’élévation du basson à un rôle de premier plan, et du climat global, qui couvre aussi bien les aspects lyriques que brillants, avec une pureté de ligne, une facture éloquente et des variations de dynamique qui se révèlent somptueuses. On prendra pour seuls exemples le Concerto RV 476, d’une extrême qualité d’ornementation et d’une richesse inventive qui se manifeste dans un jeu soliste fringant et noble à la fois, ou le Concerto RV 481 au cours duquel des climats déclamatoires sont irrésistibles, comme le sont tout autant les arabesques impatientes et aux accents ironiques de l’Allegro du Concerto RV 467, qui vient juste après, vrai régal sonore qui se prolonge dans une composition dont les subtilités laissent plus que rêveur. Sergio Azzolini, souverain, utilise un basson Peter de Koningh réalisé en 2014, copie d’un instrument des environs de 1710, dont la sonorité est, pour faire la comparaison avec l’univers gustatif, comme l’épanchement et la chaude profondeur d’une saveur ambrée. Tout au long de ce parcours mirifique, on ne sait qu’apprécier le plus : la virtuosité, entre brillance et finesse ciselée, la capacité lyrique ou dramatique, le sens de la simplicité mêlée à des fioritures très efficaces, ou la parfaite adéquation du bon goût avec la légèreté ou l’imagination du propos. Dans ce contexte, L’Onda Armonica mérite tous les éloges, l’ensemble est d’une rare homogénéité. Le bonheur musical est intense, il se propage dans l’émotion, ressentie comme un vrai bain de jouvence. Un disque pour gourmets, qui n’oublieront pas les quatre premiers volumes de cette série dédiée au basson, et seront attentifs à la parution du sixième qui devrait en toute logique compléter ce séduisant panorama. 

Son : 10    Livret : 10    Répertoire : 10    Interprétation  

Jean Lacroix

 

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