Yan Levionnois prête son violoncelle et sa voix à Britten et à Rimbaud

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Illuminations. Benjamin Britten (1913-1976) : Suites pour violoncelle op. 72, 80 et 87. Arthur Rimbaud (1854-1891) : Illuminations. Yan Levionnois, violoncelle et récitant. 2018. Notice en français. 127.26. Un album de deux CD Les Belles Ecouteuses LBE 26.

Voici un projet insolite, que le violoncelliste/récitant Yan Levionnois présente de la manière suivante dans la notice : Après avoir eu longtemps le désir de créer un spectacle mêlant musique et littérature, j’ai eu la chance de relire les Illuminations à un moment où je travaillais les Suites pour violoncelle seul de Benjamin Britten. Tout de suite j’ai été frappé par les ponts que je voyais entre les deux œuvres, qui m’ont paru partager un même goût pour les rythmes asymétriques, les cassures irrégulières et des mélodies à la fois originales et familières. Après quelques recherches, je me suis vite rendu compte que les deux mondes n’étaient peut-être pas si éloignés, Britten ayant écrit une oeuvre pour voix et orchestre intitulée Illuminations, et composée justement sur les thèmes de Rimbaud. Une idée de spectacle seul en scène est alors née autour des Illuminations et des Suites, où l’ambition n’était pas d’illustrer l’une des œuvres par l’autre, mais bien de créer des correspondances entre les deux univers, comme une mise en résonance

Ce cadre étant posé, on signalera que l’approche de cet album atypique n’est pas facilitée par le texte de la notice, quasiment illisible au point de nécessiter l’usage d’une loupe : les caractères en sont minuscules et sont proposés en bleu sur un fond brunâtre. C’est encore pire pour la présentation biographique du violoncelliste ; ici, le blanc remplace le bleu, toujours sur fond tristounet. Et ce n’est pas un dessin aux couleurs passées, accompagnateur de l’énumération des plages alternant instrument et voix, qui ajoute de la lumière. Après le descriptif que nous avons repris ci-avant, Yan Levionnois estime que les Suites de Britten ne nécessitent pas une présentation aussi détaillée que celle qu’il va accorder ensuite aux Illuminations. Soit ! Cela ne l’empêche pas de rappeler que l’Anglais composa ces partitions pour son ami Rostropovitch, dans un esprit de lyrisme slave, mais aussi avec l’utilisation d’effets instrumentaux, dont certains s’inspirent d’un voyage en Asie, formant aussi un hommage du XXe siècle en écho aux Suites de Bach. Suivent trois longues pages en texte serré, consacrées à Rimbaud et à des considérations d’ordre biographique, littéraire et analytique, signées par Yan Levionnois. Ce dernier y assouvit la fascination qu’il éprouve pour le poète et pour la force de son écriture. Selon son envie et son intérêt, le mélomane déchiffrera ces lignes, armé de la loupe indispensable. 

Nous ne nous attarderons pas ici sur la genèse des Illuminations, ensemble de poèmes en prose et en vers libres écrits par Rimbaud entre 1872 et 1875, dont une publication partielle a eu lieu en 1886 et une parution intégrale à titre posthume. Laissons la parole à Yan Levionnois : leur datation est floue, leur lieu d’écriture est a priori multiple, leur titre peut-être pas de Rimbaud lui-même, bien que Verlaine l’affirme, leur ordre indéfini. De leur côté, les trois Suites de Britten ont été composées en 1964, 1967 et 1971. Pour son enregistrement, le soliste a opté pour une formule d’alternance de courts moments musique/texte, le choix de l’ordre des écrits du poète traduisant un choix personnel, tandis que les Suites de Britten respectent leur ordonnance. Cette mise en miroir n’est pas toujours heureuse car si, sur le plan textuel, chaque extrait peut s’isoler sans pâtir d’une cohérence, la liberté de la couleur des mots étant préservée, l’aspect musical, découpé en petites tranches dont certaines ne dépassent pas la poignée de secondes, perd de son unité et finit par ne plus représenter qu’une mosaïque illustrative un peu disparate qui parait plus destinée à porter la poésie qu’à servir de correspondance entre deux univers dont l’intention avouée est pourtant de les rapprocher.

Il faut en fait dissocier les deux « interprètes » réunis en un seul. Yan Levionnois s’investit dans chacune des interventions instrumentales, qu’il s’agisse de lyrisme, de rythme, de variations engagées ou de pages intimes. On aimerait entendre ces Suites regroupées par ses soins, sans leur artifice littéraire. Nous utilisons à dessein le terme « artifice », car le violoncelliste, malgré sa fougue et son enthousiasme, n’est pas le récitant rêvé pour ces lignes énigmatiques dont il ne distille le mystère qu’avec une voix qui ne nous convainc pas souvent et qui, à la longue, s’étouffe autour d’un propos dont on saluera cependant l’audace. C’est là que le bât blesse. On peut applaudir le projet, mais considérer que Levionnois aurait été mieux inspiré de confier les textes à un comédien. Tel qu’il est conçu, ce programme original permet sans doute au concepteur-interprète de « se faire plaisir », mais on a du mal à le suivre dans son espace littéraire, car il ne retient pas toute l’attention nécessaire dans un parcours long et aride.

Yan Levionnois (°1990) a étudié avec des personnalités comme Marc Coppey ou Truls Mörk. Faut-il rappeler qu’il a participé au premier Concours Reine Elisabeth pour violoncelle en 2017 et qu’il compte parmi les lauréats après avoir joué le Concerto op. 104 de Dvorak en finale ? Il a enregistré pour le label Fondamenta, notamment un CD en solo en 2013 avec des partitions de Prokofiev, Ibert, Crumb et, déjà, la Suite n° 2 op. 80 de Britten. Cet artiste n’a certes pas choisi une voie facile pour ce présent album, enregistré à la Salle Colonne (Paris) du 19 au 21 décembre 2018. Il a en tout cas concrétisé une passion. Cet album est à réserver aux amateurs pointus de Rimbaud qui y trouveront peut-être leur miel, et aux curieux du couplage avec les Suites de Britten. On lui accordera le bénéfice d’une aventure audacieuse qui reflète les aspirations d’un jeune talent pour des réalisations qui sortent des sentiers battus.

En raison de la nature même du projet, nous attribuerons à cette réalisation une note globale, qui tient compte des aspects positifs et réservés que nous avons soulignés.

Note globale : 6

Jean Lacroix

 

  

 

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