Dixième volet du Projet Haydn 2032 d’Antonini : Les Heures du jour

par

Franz Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonies n° 6 en ré majeur « Le Matin », n° 7 en do majeur « Le Midi » et n° 8 en sol majeur « Le Soir » Hob. I :6 à 8. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sérénade n° 6 en ré majeur K. 239 « Serenata notturna ». Il Giardino Armonico, direction Giovanni Antonini. 2019. Notice en anglais, en français et en allemand. 78.36. Alpha 686.

En 2032, les 300 ans de la naissance de Haydn seront célébrés. Pour que l’événement s’inscrive déjà dans la durée, le label Alpha et la Fondation Joseph Haydn de Bâle se sont associés pour un ambitieux projet, étalé dans le temps : l’enregistrement des 107 symphonies du maître. Le premier volume est paru en 2014, neuf autres ont suivi à intervalles réguliers. Chaque parution propose le même schéma : trois symphonies (quatre pour le volume 6) choisies selon une thématique, avec, en complément, à chaque fois, une œuvre d’un contemporain de Haydn : W.F. Bach, Cimarosa, Gluck, Kraus, Mozart… Plusieurs volumes ont été présentés ici et bien accueillis par Dominique Lawalrée (n° 5 et 6) ou par Christophe Steyne (n° 9). Pour ajouter un côté plastique à l’ensemble, le projet Haydn 2032 collabore avec la réputée agence photographique Magnum, créée à New York en 1947 et disposant de bureaux répartis de par le monde. Pour chaque numéro de la série, un photographe est désigné, dont le travail, associé à la thématique, est reproduit en couvertures, dans les livrets et pour la communication de l’événement. Avec ce dixième volume, 31 symphonies sont déjà à la disposition des mélomanes. La future intégrale représentera, selon la jolie formule de la notice, « un kaléidoscope des émotions humaines ». 

Le principe de procéder par thèmes, plutôt que par ordre chronologique, présente un intérêt qui n’échappera à personne, celui de pouvoir rapprocher des pages par l’esprit ou par l’esthétique. Dans le cas des symphonies qui illustrent le thème « Les Heures du jour », la notice de Christian Moritz-Bauer fait allusion à un événement astronomique advenu le 6 juin 1761, à savoir le passage de la planète Vénus devant le soleil. Le Prince Paul II Anton Esterházy, au service duquel le compositeur était depuis peu de temps, lui commanda de la musique symphonique : le programme serait ainsi consacré à la course diurne du soleil ou à la position respective de ce corps céleste, producteur de lumière et de chaleur, à trois moments de la journée, le matin, le midi et le soir, ainsi que le suggère une musicologue de l’Université Columbia de New York. Pour mener à bien la commande, Haydn a opté pour une fréquence élevée d’instruments solistes, non seulement le violon, le violoncelle ou la contrebasse, mais aussi les vents, dont les moments de bravoure sont nombreux. Dans la Symphonie n° 6, les premières mesures s’ouvrent par un lent lever de soleil qui cède la place à un Allegro de forme sonate, les trois mouvements suivants laissant dialoguer entre eux le violon et le violoncelle (Andante), la flûte, le basson, la contrebasse et le violoncelle (Menuetto - Trio avec un style à la française), la flûte, le violon et le violoncelle (Allegro). Cela donne à la partition une diversité de couleurs des plus séduisantes, que l’on retrouve dans « Le Midi ». Avec là aussi une introduction lente, plus marquée de cérémonial. On y admire le violon solo dans le Recitativo. Adagio, un irrésistible Menuet qui précède un Trio faisant la part belle aux cors et à la contrebasse, avant un Allegro au cours duquel la flûte et le hautbois échangent leurs suavités. 

Dans la Symphonie n° 8 « Le Soir », les quatre mouvements alternent avec bonheur la vivacité, le chant (superbe Andante), la dynamique dansante et la description d’une Tempesta, à la forte électricité instrumentale. Ces trois partitions sont de véritables bijoux que Haydn a sans doute peaufinés pour éblouir son nouveau protecteur tout en mettant en évidence le potentiel individuel des instrumentistes qu’il avait à sa disposition.

Depuis le début de ce projet qui doit s’achever dans un peu plus de dix ans, Giovanni Antonini est à la tête de deux formations : le Kammerochester Basel (volumes 5 à 7) et Il Giardino Armonico, en charge des autres parutions dont celle-ci. La fraîcheur, le rythme, le lyrisme dominent, et les divers solistes proposent un éventail de sonorités des plus fruitées aux plus ciselées. C’est un régal de traits délicats ou incisifs, de dynamique collective nuancée et expressive. Décidément, ce corpus qui se construit peu à peu se révèle comme une entreprise de haute valeur, qui marque déjà la discographie pourtant nantie de belles versions, parmi lesquelles on citera l’incontournable Antal Dorati dans son intégrale, mais encore, parmi d’autres, Trevor Pinnock ou Nikolaus Harnoncourt.

Le complément est emprunté à Mozart, avec la délicieuse Sérénade n° 6 qui date du début de 1776 et est écrite sans instruments à vent. La notice précise qu’on a depuis peu de bonnes raisons de penser que la Serenata notturna a été composée à l’occasion d’une des redoutes ou bals masqués qui se déroulaient à l’hôtel de ville de Salzbourg, et que l’œuvre aurait pu être associée à une scène comique jouée à l’une de ces occasions. Ceci expliquerait la composition instrumentale en deux petits groupes en alternance ou en opposition : deux violons, alto, contrebasse pour l’un, deux violons, alto, violoncelle et timbales pour l’autre. Cette disposition insuffle du dynamisme à la Marcia initiale, de la placidité au Menuet et de la vivacité pleine de charme au Rondo : Allegretto. Le lien avec les trois symphonies de Haydn n’apparaît pas ici aussi évident que dans les albums précédents, qu’il s’agisse de la thématique ou d’une éventuelle concordance de dates d’écriture, mais la sérénade prolonge la sensation de fraîcheur du programme, et c’est sans doute en elle qu’il faut chercher le motif du choix pour ce CD jouissif, enregistré il y a plus de deux ans, en janvier 2019, en Italie, à l’Euregio Kulturzentrum de Toblach, à la porte des Dolomites.

Son : 10  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix    

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