Intégrale des Symphonies de Haydn par Il Giardino Armonico : volume 9

par

Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonies en ré majeur, si bémol majeur, fa dièse mineur, Hob. I:15, 35, 45. Scena di Berenice Hob. XXIV A :10 (Berenice, che fai ? ; Non partir, bell’idol mio… Me infelice ! ; Perché, se tanti siete). Sandrine Piau, soprano. Giovanni Antonini, Il Giardino Armonico. Novembre 2018. Livret en français, anglais, allemand. TT 77’34. Alpha 684

Le neuvième volume de cette intégrale des 107 symphonies, censée se boucler en 2032 pour le tricentenaire de la naissance du compositeur, a déjà vingt-cinq symphonies derrière lui (la plus tardive est la no 81 de 1784). Cet album continue de butiner dans les opus antérieurs aux derniers chefs d’œuvre (Parisiennes, Londoniennes notamment), et de se fédérer par thème, illustré par une galerie de clichés de photographes de l’agence Magnum, en l’occurrence Patrick Zachmann. Le concept est ici celui de l’adieu, en lien avec la n0 45 ainsi surnommée, où dans le Finale les musiciens cessent de jouer les uns après les autres afin, selon l’alibi, de demander congés au Prince. L’adieu et ses corollaires : l’éloignement, le retour. Ainsi la no 35 très précisément datée (01 décembre 1767) laisse-t-elle supposer qu’elle célébrait la bienvenue du Prince Nicolas Ier Esterházy en son palais, après un séjour d’agrément. La no 15 (1757-1760) contient un menuet inhabituellement placé en seconde position, succédant à un premier mouvement qui se conclut tout aussi singulièrement, par l’Adagio qui l’introduisait. Hormis cette spécificité, qui rappelle la fin de la no 45, le livret ne s’avère pas très convaincant pour rattacher cette no 15 à la thématique de l’album.

Comme dans les précédents volumes, qui mettent en perspective les symphonies par des pièces vocales de Haydn, ou orchestrales écrites par d’autres contemporains, on nous offre ici la touchante cantate  Scena di Berenice, d’après L’Antigono de Pietro Metastasio : le désespoir, la révolte de la jeune princesse égyptienne éprise du fils du Roi de Macédoine auquel elle fut promise, et qui implore d’être arrachée à la vie pour rejoindre son bien-aimé qui s’est suicidé. Sandrine Piau en livre une prestation ardente et bouleversante, voire violente et passionnelle.

Une approche totalement en phase avec le style que Giovanni Antonini défend pour les symphonies. Même parmi les chefs traditionnels, la no 45 fut depuis longtemps bien servie au disque : outre l’intégrale d’Antal Dorati (Decca), on dispose de Willem van Otterloo (Philharmonie de La Haye, DG), Hermann Scherchen (si tant est qu’on puisse le qualifier de « traditionnel » !), Fritz Lehmann (DG), Daniel Barenboim (DG)… Neville Marriner (Philips) ou Jerzy Maksymiuk (Emi) pour des approches plus dégraissées. Le langage Sturm und Drang trouve néanmoins à crépiter sous des obédiences plus baroqueuses qui ne tirent pas ces œuvres vers le classicisme. Ton Koopman (Erato), Christopher Hogwood (L’Oiseau-Lyre), Trevor Pinnock (Archiv), Bruno Weil (Sony) ou Les Agrémens de Guy Van Waas (Ricercar) ont déjà brillé dans cet exercice. 

Dès l’irruption de l’Allegro Assai, on comprend qu’Il Giardino Armonico exacerbe la véhémence, accumule la tension. Les scansions de basses assènent des décharges électriques. Le geste brusque intensifie le discours autant qu’il lisse le modelé des voix intermédiaires. C’est la limite de ce genre d’approche : des attaques impactantes, mais l’expression s’assèche au cœur de phrases lustrées. Le second sujet (3’11), que le compositeur ne fait intervenir que dans le Développement, et que James Webster définit comme « Interlude en ré majeur » (dans Haydn’s Farewell Symphony and the Idea of Classical Style, Cambridge University Press, 1991, pp39-45), apporte ici un havre plus que jamais bienvenu : après la fougue de son Exposition, le chef milanais en souligne d’autant mieux le caractère étrangement détaché. C’est un des mérites que d’adapter l’ampérage en fonction de chaque mouvement. Même décantation pour un Adagio qu’on nous tisse rôdeur et spectral, en soie grège. Puis l’orchestre italien duvète un Menuet qu’on n’avait jamais entendu aussi onctueux.

Le contraste des tempos valorise la structure du premier mouvement de la no 15. Chez Hogwood, noire pointée à 28 pour l’Adagio (modérée à 21 par Antonini), puis noire à 134 pour le Presto (propulsée à 144 pour Antonini) : bref, très retenu dans l’introduction lente, et impulsif dans la section rapide. Dans l’ensemble l’allure est vive : pour le Menuet, Hogwood aborde la noire pointée à 81, contre 100 pour Antonini. Néanmoins, les variations dynamiques sont finement observées. Ainsi dans l’Andante, où elles endossent un rôle aussi structurel qu’ornemental, l’alternance f/p de fin de section (mesure 25 à 0’55).

Le langage de ces opus s’ancre dans les cordes, celles du Giardino sont effilées et luisantes. Les instruments d’époque (ou copie) nantissent la trame d’une doucereuse patine. La congruité du vibrato transforme les mouvements lents en schistosité et polarise les reflets des passages zélés. Les bois, que la partition limite essentiellement à un rôle harmonique ou de doublure, pigmentent avec caractère. Jolie teinte de brou des cornistes (Johannes Hinterholzer et Edward Deskur) dans le Trio de la no 45.

Traits glabres mais textures tomenteuses. Du détail et du grand souffle. Du relief et du vernis.  De la radicalité et de l’invention. Bref, globalement les vertus de cette interprétation se complètent et s’harmonisent dans des tableaux aussi forts que nuancés. Jalon après jalon, cette intégrale sait nous tenir en haleine. L’on s’impatiente que le prochain vienne confirmer le vers de Musset (Poésies Nouvelles) : « Le retour fait aimer l’adieu ».

 Son : 9 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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