Hamlet : opulence sonore et rigueur visuelle

par

Ambroise THOMAS (1811-1896) : Hamlet.  Stéphane Degout, Hamlet ; Sabine Devieilhe, Ophélie ; Laurent Alvaro, Claudius ; Sylvie Brunet-Grupposo, Gertrude ; Julien Behr, Laërte ; Jérôme Varnier, Le Spectre ; Kevin Amiel, Marcellus, Deuxième fossoyeur ; Yoann Dubruque, Horatio, Premier fossoyeur ; Nicolas Legoux, Polonius. Chœur Les éléments - Joël Suhubiette, dir. Chœur - Orchestre des Champs-Elysées - Louis Langrée, dir. - Cyril Teste, mise en scène - François Rousillon, image. 2019-171’-NTSC 16:9-AC32.0 and DTS5.1- DVD 9- chanté en français- sous titres en français, anglais, allemand, japonais, coréen, chinois. Capté en direct les 19 et 21 décembre 2018 à l’Opéra Comique.


La puissance du mythe d’Hamlet n’a pas fini de surprendre. En 1868, Ambroise Thomas, gloire des institutions musicales, ne s’y était pas trompé et, en dépit de l’image empesée attachée à ses basques, c’est un excellent accueil qu’il reçut à sa création. Faveur qui ne s’est pas démentie jusqu’à nos jours. Il y a vingt ans, Nathalie Dessaye-Ophélie sidérait le public avant même d’avoir chanté une note, aux côtés de Thomas Hampson. Plus récemment, Olivier Py fit surgir un prince ultra sombre à Bruxelles sans compter les scènes d’Europe et d’Outre-Atlantique. A cet engouement, au moins deux raisons : la puissance expressive de la partition d’abord et, ensuite, les rôles extrêmement complets, brillants, aussi bien vocalement que dramatiquement, dont les plus grands chanteurs se sont emparés.

A son tour, l’Opéra Comique jette son dévolu sur cette œuvre que beaucoup affectent encore de dédaigner. A la tête de l’Orchestre des Champs-Elysées, c’est avec un enthousiasme contagieux que Louis Langrée prend cette musique à bras le corps ; il la laisse déferler en ses grands emportements, la canalise, en fait miroiter la délicatesse (mort d’Ophélie Acte IV suivie d’un solo de harpe saisissant), l’ingénieuse instrumentation (percussions, vents et même saxophone monté sur scène au II pour la circonstance) comme la spatialisation des chœurs et des voix voulue par l’auteur. On y reconnaît l’influence de Fromental Halévy -auteur de La Juive- (Je t’implore O mon frère de l’Acte III par exemple), de Meyerbeer, de Gounod tandis que Wagner et Verdi ne sont pas loin. C’est que l’on est encore dans le sillage du « Grand opéra ». La création d’Hamlet eut lieu Salle le Peletier (1800 places et vastes dégagements). L’opéra d’Ambroise Thomas n’était donc nullement destiné à une salle comme celle de Favart, vouée à l’opéra comique. Ce décalage est accentué par des effectifs orchestraux et des chœurs assez peu fournis. Toutefois un enregistrement travaillé compense ces inconvénients et restitue à la musique une plénitude qui fait honneur à ses qualités intrinsèques et à celles du chef d’orchestre.

Les difficultés (procès en « ringardise », disposition de salle, faiblesse des effectifs, suppression du ballet) ont été habilement contournées par une mise en scène d’une indéniable force.

Même si le jeu des images filmées et de l’invasion des techniciens jusque dans les coulisses apparaît redondant et un peu systématique, nous sommes en présence d’une vision cohérente et maîtrisée. Au point qu’elle se suffirait à elle-même, reléguant la musique à la fonction d’une bande son. Partie musicale prise à contre-pied du point de vue esthétique puisque on voit sur scène des volumes cubiques glacés, du mobilier de chaîne d’hôtel, des décors de tournage, des costumes contemporains et l’obsession de gros plans sur le visage des chanteurs. Quand bien même s’agirait-il comme ici d’interprètes remarquablement habités, il n’est pas certain que la technique du chant se prête avec bonheur à des plans aussi cruellement rapprochés ; aux masques figés que requiert la proximité de la caméra non plus. Néanmoins, tous parviennent à convaincre ; à commencer par le baryton Stéphane Degout, familier du rôle, Hamlet tout en rage contenue, présence inquiétante, chant calibré, phrasé, endurant, très impressionnant. Sensible et retenue, Sabine Devielhe offre une Ophélie d’une admirable musicalité tandis que Sylvie Brunet-Grupposo chante Gertrude -sans doute le rôle le plus évidemment wagnérien- avec un art capiteux, puissant, maîtrisé, absolument renversant. Son époux usurpateur, Claudius, trouve en Laurent Alvaro une incarnation sobre et noble. Julien Behr (Laërte), Kevin Amiel, Yoann Dubruque entourent dignement les héros. Le spectre banal (Jérôme Varnier bien chantant), assis à l’orchestre en col roulé, frôle le dérisoire dans ses apparitions, ce qui est fâcheux pour un fantôme ! Les Chœurs et l’Orchestre font preuve d’une implication méritoire.

Quoique paradoxale, une réalisation très bien faite, et pleine d’enseignements.

Bénédicte Palaux Simonnet

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