Lisztomanias à Châteauroux fête ses 20 ans

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Le festival Lisztomanias a fêté cette année ses 20 ans sous le thème de « Liszt a 20 ans » en mettant en valeur les œuvres de jeunesse. Mais au concert du dimanche 17 octobre, l’accent est mis sur l’Amérique, un centre musical qui attirait déjà de nombreux talents au XIXe siècle. Ainsi, Lorenzo da Ponte, Sigismond Thalberg, Anton Rubinstein et bien sûr Antonín Dvořák s’y installèrent, ce dernier dirigeant le Conservatoire de New York à la fin du siècle. Liszt, un grand voyageur, aurait pu traverser l’océan Atlantique.

Ce voyage lointain, c’est aussi un voyage intérieur. Avec Dante. Ainsi, Alexandre Kantorow ouvre le concert en solo, sur la scène de l’Equinox où les sièges des musiciens d’orchestre sont encore vides. On a déjà beaucoup parlé de lui, de son génie, de son jeu inspiré, de sa technique infaillible, de sa musicalité hors pair, de sa liberté d'expression… Une fois de plus, il a mis ces qualités au service de la musique, avec tout un imaginaire lisztien et dantesque. Première ovation, déjà plus que nourrie.

Aziz Shokhakimov et Alexandre Kantorow hissent la musique à la plus haute sphère

L’orchestre s’installe, le chef arrive. Le jeune ouzbek de 33 ans, Aziz Shokhakimov, à la tête de l’Orchestre Symphonique de Strasbourg depuis peu, a déjà une carrière bien fournie. C’est un prodige de la direction d’orchestre qui a fait ses débuts à 13 ans avec l’Orchestre Symphonique National d’Ouzbékistan dans le Concerto n° 1 de Lizst -voici donc un bon lien avec Lisztomanias !

Dans une belle complicité, le pianiste et le chef mènent ensemble un concerto, cette fois le deuxième en la majeur. Leur version est parsemée de moult détails qui font briller la richesse d’idées de Liszt mais aussi de l’un et l’autre de nos musiciens. L’incandescence de Kantorow est complétée par la générosité de Shokhakimov et vice-versa, ils hissent la musique à la plus haute sphère. Deuxième ovation, enthousiaste.

Dans la Symphonie « du Nouveau Monde », il montre tout un art du contraste entre le 1er mouvement frénétique, le 2e avec des pianissimi incroyablement soutenus, le 3e rebondissant de rythmes et le 4e déterminé et fiévreux. Dans les deux derniers mouvements, le chef introduit des ralendandi inattendus à plusieurs endroits, en particulier à la fin de certaines sections de transition, pour reprendre aussitôt le tempo à la mesure suivante. Cela sonne comme des clins d’œil de la part du chef, comme pour dire : « Voilà, on peut jouer ainsi, et pourtant, personne ne le fait ! » Cette petite touche d’originalité sera son marque de fabrique s’il ne tombe pas dans une recherche d’effets, juste pour se distinguer des autres. Mais on sait d’ores et déjà que ce n’est pas son but. Voyons comment il va évoluer.

L’Orchestre National des Pays de la Loire joue avec beaucoup de prestance et on y sent tout à fait l’empreinte de Pascal Rophé, son directeur musical. Des cordes bien unies, les harmonies brillantes, et les couleurs ne manquent pas. Les musiciens d’orchestre semblent portés et stimulés par la musicalité de deux jeunes talents. Les sourires qui ornent leurs visages en jouant en témoignent.

Après la dernière note, une ultime ovation, la salle est euphorique !

Après ce concert qui renouvelle et élève l’esprit, un « after » attend dans le 9 cube, ancienne laiterie transformée en scène de musique actuelle. Dans une salle façon music-hall où les boissons et snack sont permis, Alexandre Kantorow, Paul Lay et Jean-Baptiste Doulcet livrent une séance d’improvisations avec des motifs de Beethoven, de Liszt (évidemment !) et de bien d’autres. Fabrizio Chiovetta les rejoint ensuite pour une petite invention à huit mains, en offrant un moment convivial et unique.

Révital Liszt et Schubert par Fabrizio Chiovetta

Au lendemain de cette soirée fort sympathique, le 18 octobre dans l’après-midi, Fabrizio Chiovetta donne un récital Liszt et Schubert à l’Auditorium F. Liszt (cela ne s’invente pas!). Avec des touchers infiniment délicats qui ne bousculent aucunement l’âme, son interprétation ressemble à une introspection, afin de pénétrer dans une profondeur de vie. Il ne bouscule rien ? En vérité, il le fait par cette douceur. Chaque note est si posée, si pesée, avec une écoute intérieure avant même de produire chaque son, que cela nous bouleverse, perturbe même… Il choisit des œuvres qui ont déjà une intériorité (La Vallée d’Obermann et Les cloches de Genèves de Liszt, Liebesbotschaft de Schubert/Liszt et la Sonate en si bémol majeur D. 960 de Schubert) mais même pour les moments animés, il joue avec la relative tranquillité, ce qui est parfois déconcernant. En effet, pour maintenir un tel « calme », il faut une maîtrise sans faille. C’est peut-être cette maîtrise qui nous emporte. Pour se convaincre et pour ne pas avoir assisté à son récital à Châteauroux, écoutez ses disques : Beethoven, Mozart, Bach, Haydn, Schubert dont le D 960… C’est fascinant.

Victoria Okada

Crédits photographiques : Mischa Blank / DR

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