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Un Requiem allemand à Strasbourg

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L’orchestre philharmonique de Strasbourg sous la direction de Aziz Shokhakimov, le chœur de l’Orchestre de Paris, le baryton français Ludovic Tézier,et la soprano sud-africaine Pretty Yende sont en tournée pour offrir un Requiem allemand (ein deutsches Requiem) de Brahms.

Œuvre autant intime grâce à son utilisation des voix – Brahms composa nombre de lieder, et de chœurs ainsi qu’une magnifique Rhapsodie pour alto, tant par goût que pour vivre – et massive avec l’ajout de l’orchestre, ce requiem permit au compositeur de grandir hors de son angoisse de ne pas être capable, de rédiger une symphonie, surtout après la mort de Beethoven. Œuvre tenant à la fois de la neuvième symphonie que du Missa solemnis de Beethoven, Brahms reprend également ici aussi l’humanisme de compositeur de Bohn. Un sentiment de sobriété, de Nuchternheit pour le dire en Allemand, ébranlée par la mort, une confiance en soi fragilisée par la certitude de sa fin émane de cette œuvre extime, et lui confère son humanité.

Il faut saluer ici le chœur qui montre une droiture, une intimité et une harmonie remarquables pour des amateurs. Il en ferait presque oublier son poids sur l’orchestre. Il ne démérite en effet pas non plus, lui qui grandit à partir des violoncelles et contrebasses, et qui reprend de façon si belle le motif d’élan brisé parcourant l’œuvre. 

Au Festival de Menton 2023

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Pour son édition 2023, le Festival de Menton a dû s'adapter et se réinventer au vu des nombreuses contraintes dans ce contexte économique incertain. Il a été contraint de réduire la voilure à sept concerts sur le Parvis à 21h30 et six concerts au Palais de l'Europe à 18h. Cependant, il offre toujours une programmation variée, où tout le monde trouve son bonheur. L'objectif principal restant d'offrir des concerts hors pair avec les meilleurs artistes du moment qu’ils soient jeunes ou confirmés.  

On commence cette évocation subjective par le concert de Nikolaï Lugansky. L’artiste consacre son récital à la musique pour piano de Rachmaninov. Il commence le récital par les Moments Musicaux de Rachmaninov,  un hommage à Franz Schubert, l’auteur d'une série de Moments Musicaux.  Le jeu de Lugansky est caractérisé par son toucher d'une grande délicatesse, il a un respect du clavier et, contrairement à d'autres pianistes virtuoses, il ne casse pas l'ivoire. Mélodies slaves, rythmes endiablés contemplations se confondent, évoquant des impressions, plutôt que des lieux ou des personnages.  L'artiste connaît toutes les subtilités pour jouer en plein air et faire ressortir toutes les nuances de la partition. Il a choisi "son piano" qu'il savait qui répondrait le mieux à toutes les exigences. 

Rachmaninov comparait sa Sonate n°2 de 1913 à celle de Chopin, dont il était un grand admirateur. Rachmaninov raccourcit, en 1931,  sa partition en ôtant près de 120 mesures. Cette nouvelle version est plus aérée mais moins virtuose. Rachmaninov laisse les interprètes libres face aux deux versions. Lugansky joue "sa version" qui est un savant mélange des textes, c’est une une performance formidable. 

C'est lors de son premier séjour en Amérique qu'il compose les Préludes op.32 

Lugansky les joue tels que Rachmaninov l'aurait souhaité :  à la fois doux et puissant, paisible et passionné. En bis une Romance de Tchaïkovsky dans un arrangement de Rachmaninov et un superbe Prélude. L'auditoire est subjugué. 

Beatrice Berrut est l'invitée du premier récital de 18h au Palais de l'Europe. Cette  pianiste suisse est acclamée dans les plus grands festivals et les salles de concerts les plus importantes. Beatrice Berrut est une musicienne sincère, intelligente et très créative, constamment à la recherche d'un nouveau répertoire. Eperdument amoureuse de la musique post-romantique, elle a transcrit et enregistré des pages marquantes de Gustav Mahler. Elle propose ici des mouvements de trois symphonies de Mahler : l’Adagietto de la Symphonie n°5, Le Tempo di Minuetto. Sehr mäßig de la  Symphonie n°3 et l'Andante de la Symphonie n°6. Ces transcriptions sont étonnantes et le piano sonne comme un orchestre symphonique. 

Sans kilts, ruines ou bruyères, Lucia di Lammermoor subjugue toujours Paris

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Cette reprise de la mise en scène d’Andrei Serban pour le chef d’œuvre de Donizetti date de presque trente ans. Elle n’a pas vieilli puisqu’elle n’a pas d’âge. Seuls, costumes, accessoires et articulations des passerelles accusent la fatigue. Les allusions aux séances du Professeur Charcot à la Salpêtrière sur l’hystérie, les chœurs coiffés de hauts-de-forme alignés en rangs d’oignons autour de l’amphithéâtre-citerne restent incongrus mais discrets. Dans l’arène, gymnastes aux agrès, conscrits, échelles croisées, jeux de scènes périlleux sont supposés mettre en évidence la solitude d’une héroïne broyée par l’univers masculin.

C’est oublier un peu vite les motifs de la haine qui oppose les Ashton et les Ravenswood et, surtout, que c’est Lucia qui tient le poignard et qui tue. Déraciner la Fiancée de Lammermoor de son terreau écossais, du contexte de son élaboration (1835), en faire une abstraction hors sol, c’est aussi l’appauvrir et même la gauchir.

Heureusement, la dynamique dramatique voulue par Donizetti opère à plein régime servie par d’excellents interprètes qui font oublier ce morne parti-pris.

Les premières mesures laissent présager un sens dramatique haletant de la part du jeune chef (né en 1988) de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov. Les interventions des pupitres solistes (cuivres en particulier), l’inertie des masses chorales, l’exigence de mise en place (fameux sextuor, A.II) rendent la suite moins cohérente. Toujours à l’écoute des chanteurs, le chef ousbek leur offre un espace propice au bel canto. S’il n’en est pas tout à fait familier, nul doute que ce surdoué sensible ne s’enrichisse très vite au contact d’artistes tels Javier Camarena et Mattia Olivieri.

 A tout seigneur, tout honneur, le baryton italien fait une entrée fracassante sur la scène parisienne. Beau, fringuant, il habite l’espace scénique et sonore d’un irrésistible magnétisme.

Son art du chant coloré, riche, libre, apporte au personnage d’Enrico, frère de l’héroïne, habituellement brutal, borné et antipathique, une stature inhabituelle. La violence se fait plus humaine et la séduction du couple qu’il forme avec sa sœur Lucia le rend beaucoup plus intéressant.

Phénomène rare, la qualité de l’interprétation jette une lumière nouvelle sur l’œuvre. Ici, elle met en évidence le versant manifestement incestueux de la relation fraternelle.

Face à lui, l’amant maudit, Edgardo, trouve en Javier Camarena  un interprète qui met son art des nuances et la texture chatoyante de sa voix au service du personnage. Son aria di tomba du dernier acte « Tombe degli avi miei » aussi belle que désespérée reçoit une ovation méritée.

Lisztomanias à Châteauroux fête ses 20 ans

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Le festival Lisztomanias a fêté cette année ses 20 ans sous le thème de « Liszt a 20 ans » en mettant en valeur les œuvres de jeunesse. Mais au concert du dimanche 17 octobre, l’accent est mis sur l’Amérique, un centre musical qui attirait déjà de nombreux talents au XIXe siècle. Ainsi, Lorenzo da Ponte, Sigismond Thalberg, Anton Rubinstein et bien sûr Antonín Dvořák s’y installèrent, ce dernier dirigeant le Conservatoire de New York à la fin du siècle. Liszt, un grand voyageur, aurait pu traverser l’océan Atlantique.

Ce voyage lointain, c’est aussi un voyage intérieur. Avec Dante. Ainsi, Alexandre Kantorow ouvre le concert en solo, sur la scène de l’Equinox où les sièges des musiciens d’orchestre sont encore vides. On a déjà beaucoup parlé de lui, de son génie, de son jeu inspiré, de sa technique infaillible, de sa musicalité hors pair, de sa liberté d'expression… Une fois de plus, il a mis ces qualités au service de la musique, avec tout un imaginaire lisztien et dantesque. Première ovation, déjà plus que nourrie.

Aziz Shokhakimov, maestro en Alsace 

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Le chef d’orchestre Aziz Shokhakimov est l’une des baguettes que l’on s’arrache tant son charisme séduit les orchestres et les publics. Alors qu’il commence sa première saison au poste de Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg (OPS), il est l’invité du Belgian National Orchestra. 

Vous êtes cette semaine avec le Belgian National Orchestra pour une série de concerts à travers le pays. Je crois que ce sont vos premiers concerts en Belgique ? 

La saison passée, je devais diriger des concerts mais la pandémie en a décidé autrement ! Je suis venu à Bruxelles au pupitre du Belgian National Orchestra pour un concert Rodrigo/Prokofiev qui fut diffusé par la radio et donc sans public. Le contact et l’entente furent excellents et je me réjouis de revenir diriger cet orchestre pour de vrais concerts ! 

Vous effectuez votre première saison avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Quelle est votre ambition pour l'OPS ? 

Je suis tout d’abord très heureux d’être le directeur musical de ce formidable orchestre. J’aime particulièrement la dynamique et l’esprit de travail qui y règnent ! Je suis un chef d’orchestre qui est méticuleux dans l’approche des partitions et je suis très heureux de diriger les œuvres orchestrales avec des musiciens aussi engagés dans leur métier. En tant que directeur musical, ma responsabilité est de garantir le plus haut niveau artistique. Pour cette saison nous allons collaborer avec de grands solistes comme Patricia Kopatchinskaja, Alexandre Tharaud ou Nemanja Radulovic. Pour la saison suivante, il y aura d’autres grands noms que je ne peux pas encore vous dévoiler. Nous allons également maintenir notre présence dans les médias musicaux par notre collaboration avec la chaîne Medici qui va retransmettre des captations de nos concerts. L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg possède une grande histoire au disque et enregistrer est dans son ADN. L’orchestre poursuit une collaboration avec Warner. Il y a déjà plusieurs enregistrements avec mon confrère John Nelson et la mezzo-soprano Joyce di Donato qui est une invitée régulière. Mon premier album avec l’OPS sera consacré à Serge Prokofiev, Suites n°1 et n°2 de Roméo et Juliette et Symphonie n°1 “Classique”.   

Strasbourg est une ville à la croisée des mondes latin et germanique. Avez-vous envie de cultiver ces deux aspects dans votre programmation ? 

Bien évidemment ! Nous allons jouer le répertoire français et russe, mais je tiens à maintenir l’excellente dans le répertoire allemand ! L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg interprète divinement bien Mahler et Strauss. Ce haut niveau dans les deux cultures stylistiques est pour moi l’une des grandes caractéristiques de cet orchestre !