L’Orchestre National de Lyon à Genève
Au cours de chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande cède deux ou trois soirées de sa programmation à d’autres grandes formations. Actuellement, lourdement affairé par la préparation de la Tétralogie qui doit rouvrir le Grand-Théâtre de Genève, il sollicite l’Orchestre National de Lyon qui, pour la circonstance, est dirigé par Eliahu Inbal.
Le programme débute par l’intervention du soliste, le grand pianiste brésilien Nelson Freire, qui est régulièrement invité à Genève où il compte de nombreux amis, dont Martha Argerich et Nelson Goerner, tous deux présents au concert. Cette fois-ci, il opte pour une œuvre complexe, mal-aimée du grand public, le Quatrième Concerto en sol mineur op.40 de Sergey Rakhmaninov. Profitant de la parfaite fusion des pupitres lyonnais, il attaque avec une rare énergie le premier thème fortement rythmé puis fluidifie le trait pour dialoguer avec le cor anglais en un cantabile élégiaque ; mais le développement a tendance à devenir touffu, en frisant la boursouflure. Par contre, le largo renoue avec une poésie intimiste, alors que le canevas feutré des cordes livre les bribes d’une chanson anglaise pour enfants, Three Blind Mice. En lignes arachnéennes à la Prokofiev, est dessiné un finale qui est empreint d’une exubérance tonifiante malgré les zones d’ombre inquiétantes qui s’amoncellent sur son parcours.
En seconde partie, l’Orchestre National de Lyon se fait valoir dans une Ouverture tragique de Brahms dont Eliahu Inbal privilégie le caractère alerte en jouant du soyeux des cordes pour imposer un ample legato à la section des bois qui suspendent le temps par de délicats pianissimi. Et les cors, de qualité remarquable, lui conféreront une sereine grandeur par un motif en forme de choral.
Et le concert s’achève par l’une des grandes fresques symphoniques de Richard Strauss, Also sprach Zarathustra op.30, dont l’introduction, si galvaudée depuis le film de Stanley Kubrick, 2001, Odyssée de l’espace, est magistralement déclamée par trompettes, timbales et orgue. D’autant plus saisissant s’avère le contraste que produit la seconde section, bruissant d’interrogations angoissées que le chef amplifie pour leur donner une dimension pathétique. Et des registres graves il extirpera une progression par strates jusqu’à un unisson en fortissimo, dont le violon puis les premiers pupitres de cordes atténueront la portée afin d’évoquer une existence rassérénée, où s’infiltreront sporadiquement les dissonances du doute.
Genève, Victoria Hall, 31 I 2019
Paul-André Demierre
Crédits photographe : Rokimaharu Hotta