Sur les bords du Léman, un festival à découvrir : Tannay

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A une quinzaine de kilomètres de Genève, à proximité de Nyon, se situe la charmante commune de Tannay qui a la chance de posséder un château du XVIIe siècle avec un grand parc donnant sur le Lac Léman. Chaque été, depuis dix ans, y est édifiée une vaste tente sur infrastructure métallique pouvant accueillir plus de quatre cents spectateurs, où se déroule un festival de musique de chambre intitulé les Variations Musicales de Tannay sous l’égide de Serge Schmidt, son infatigable président.

Depuis le début de l’aventure, Renaud Capuçon en est l’un des habitués ; pour cette saison, il s’est produit le 20 août avec un ensemble qu’il a formé en février 2018, les Lausanne Soloists, composé d’une vingtaine d’étudiants des classes terminales de la Haute Ecole de Musique de Lausanne (HEMU).

La première partie du programme inclut les trois concerti BWV 1041 à 1043 de Bach dont Renaud Capuçon est le soliste et le meneur de jeu, modelant une sonorité radieuse dans un phrasé suffisamment souple pour y glisser de subtils effets de rubato ; par moments, l’enthousiasme de ses jeunes partenaires conduit à un tutti trop présent, frisant la boursouflure, mais qui sait s’effacer lorsque le solo instille une lancinante émotion à l’Adagio du Concerto en mi majeur BWV 1042. Dans le Concerto pour deux violons en ré mineur BWV 1043, il dialogue avec l’une de ses élèves, Alexandra Conunova qui, vraisemblablement sous l’effet du trac, livre une sonorité raide et trop restreinte pour mener le concertino des premiers pupitres. Mais heureusement le célèbre Largo ma non tanto rétablit l’équilibre ; et finalement le plaisir de jouer emporte l’adhésion du public.

En seconde partie, sous l’égide de Renaud Capuçon qui joue le rôle de Konzertmeister, est proposée la Sérénade pour cordes en ut majeur op.48 de Tchaikovsky datant d’octobre 1880. Les accords initiaux sont empreints d’une exubérance juvénile qui se canalise en d’inquiétantes demi-teintes dans l’Allegro moderato. Par un rubato provoquant de légères suspensions est développée une Valse aérienne, tandis que l’Elégie confine à l’adagio douloureux avec une phrase déchirante des premiers violons que reprendront les alti expressifs et les cordes graves. Une transition adroitement menée conduit à un Finale enlevé comme une danse villageoise que le public ovationne, à tel point que la Valse est redonnée en bis.

Une semaine plus tard est affiché le frère cadet du violoniste, le violoncelliste Gautier Capuçon qui, à la Fondation Louis Vuitton de Paris, a fondé en 2014 une Classe d’Excellence de Violoncelle dont il est le directeur artistique. Il présente donc six jeunes professionnels sélectionnés sur audition et provenant de partout dans le monde.

En un programme de plus de deux heures, l’ensemble propose d’abord une Fantaisie sur des thèmes de Carmen enlevée avec panache, cédant ensuite la place à deux pages du XVIIIe, un Duetto de Joseph Haydn impliquant Kristina Winiarski et Charles Hervet, et deux mouvements d’une Sonate de Jean-Baptiste Barrière datant de 1740, confiés à Anouchka Hack et Sarina Zhang ; et c’est elle aussi qui sera la soliste d’un Lament écrit en 1998 par Ann Wilson déplorant l’assassinat d’un homosexuel de 21 ans, Matthew Shepard, dans un langage expressif alliant véhémence et désolation, tandis qu’Anouchka Hack révélera une sonorité d’une densité extrême dans La Forêt, une page élaborée par le rocker Bryce Dessner, choqué par l’incendie de Notre-Dame de Paris et citant même quelques bribes monodiques de Pérotin le Grand. Le Japonais Shizuka Mitsui fait valoir une remarquable musicalité et un phrasé intelligent dans l’Andante cantabile tiré du Deuxième Quatuor à cordes op.22 de Tchaikovsky puis dans le Deuxième Duo op.54 de Jacques Offenbach où il donne la réplique à Caroline Sypniewski ; avec Gautier Capuçon, il rivalise de virtuosité dans un redoutable Duo de Nicolò Paganini paraphrasant la célèbre Prière du Moïse de Rossini. En une transcription de Friedrich Grützmacher est présenté un pot-pourri de thèmes de Lohengrin alors que Charles Hervet joue des moirures de ligne dans une transposition chambriste de la Vocalise de Rachmaninov et qu’Anouchka Hack est vibrante d’émotion dans le Salut d’amour d’Edward Elgar. L’ensemble nous fait découvrir aussi une page touffue de Giovanni Solima, Violoncelles, vibrez, datant de 1993, un singulier Fuga y misterio d’Astor Piazzola, Trois jardins, commandé par la Fondation Vuitton à Guillaume Connesson, en concluant par une Fantaisie de Javier Martinez Campos où se glisse un clin d’oeil aux célèbres concerti de Chostakovitch, Haydn et Dvorak. En un éclat de rire, Gautier Capuçon et ses poulains dessinent finalement un animal que l’on ne rencontre guère en Suisse, … la panthère rose.

Crédits photographiques :  Simon Fowler

Paul-André Demierre

Tannay, les 20 et 27 août 2019

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