Renaud Capuçon, cinéma
L’album Cinéma de Renaud Capuçon est l’un des grands succès de la saison. Alors qu’un DVD d’un concert à l'Olympia sort cette semaine chez Warner, le programme Cinéma fera l’ouverture du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence dont Renaud Capuçon est fondateur et directeur artistique. Rencontre avec un violoniste également cinéphile.
Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet ?
J’avais envie de réaliser ce projet depuis de nombreuses années. J’avais été fasciné par les deux disques Cinema Serenade d’Itzhak Perlman et John Williams parus il y a une vingtaine d’années chez Sony Classical. Je suis certainement la personne qui les a le plus écoutés ! Faire un album autour du thème du cinéma m’apparaissait comme un rêve que je réaliserais un jour. À cette époque, j’ai également découvert la musique d’Erich Wolfgang Korngold, tellement liée au cinéma et dont j’ai joué de la musique de chambre et surtout le concerto que j’ai enregistré. Il y a une dizaine d’années, j’ai parlé du projet à Alain Lanceron, directeur de Warner, et il m’a dit : “Quand tu veux !”. Mais la concrétisation du projet a pris un peu de temps : je n’étais pas prêt, je ne sentais pas le projet. Il y a 3 ou 4 ans, mon épouse me relançait régulièrement sur ce thème, m’encourageant à le concrétiser car elle trouvait le concept fantastique. Il y a 2 ans, je me suis réveillé un matin, en lui disant : “Je le fais !”. Je suis sensible à une forme d’instinct personnel qui me caractérise et que j’écoute : il en va ainsi pour mon répertoire où il y a des oeuvres que je sens à certains moments de ma vie et pas à d’autres, à l’image des Concertos de Bartók par exemple. Je les ai enregistrés il y a 2 ans, mais je ne les avais pas joués depuis une dizaine d’année. Il en va de même des sonates et partitas de Bach que je n’aborde pas actuellement.
Comment avez-vous été amené à collaborer avec les Brussels Philharmonic et Stéphane Denève ?
Pour ce projet, il était nécessaire, outre le programme, d’avoir aussi le bon orchestre et le bon chef. Ces aspects ne s’improvisent pas et il faut qu’il y ait une envie commune. J’en ai parlé à Stéphane Denève qui est un ami de longue date. Il se trouve qu’il adore cette musique et qu'il est lui-même un grand ami de John Williams. Quant au Brussels Philharmonic, il dispose d'un gros pedigree en matière de musiques de film.
Le panel des oeuvres de votre projet Cinéma est vaste. On trouve des incontournables comme La Liste de Schindler de John Williams ou Le Grand Blond avec une chaussure noire de Vladimir Cosma, mais aussi des raretés comme le Concerto de Berlin du même Cosma. Comment avez-vous sélectionné ces oeuvres ?
Tout d’abord par coup de coeur ! Mais il y a aussi une vraie volonté de mettre en avant les compositeurs français comme Alexandre Desplat, Maurice Jarre, George Delerue, Michel Legrand, Philippe Rombi... Le programme est un mix de certaines musiques qui ont été des évidences comme La Liste de Schindler ou Cinema Paradiso; mais aussi de raretés comme le Concerto de Berlin que je ne connaissais pas ! C’est une idée de Stéphane Denève qui a attiré mon attention sur cette oeuvre. De fil en aiguille, on a constitué une liste qui était le double du programme actuel et, en affinant, nous sommes arrivés à ce résultat. Aucune des pièces de l’album ne m’a été imposée. Chaque disque que j’ai enregistré est le fruit d’un désir.
Sur le disque, il y a le thème du Grand blond avec une chaussure noire dont le personnage principal campé par Pierre Richard est un violoniste à la carrière internationale. Est-ce que ce film a un écho particulier pour vous ?
Naturellement ! On a tous vu ce film quand on était gamins. J’ai toujours en tête l’image de Pierre Richard qui arrive dans cet aéroport avec sa chaussure noire. C’est de mes souvenirs d’enfance. Et le fait que Pierre Richard interprète un violoniste a naturellement un écho aussi. Dans le Concerto de Berlin, il y a toute une scène à la Philharmonie de Berlin avec une violoniste qui interprète cette oeuvre, c’est très touchant. On ne joue pas de la même manière quand on a en tête des images, ce qui a été le cas pour chacune des musiques qui sont sur ce disque.
Est-ce que vous êtes un cinéphile ?
Oui, mais pas un cinéphile méticuleux ou complètement passionné. Je ne suis pas aussi cinéphile que vivant viscéralement la musique, et je n’ai pas des connaissances approfondies dans ce domaine. Mais le cinéma a toujours occupé une grande place pour moi : enfant, je le regardais en famille ; adolescent et jeune adulte, c’était la découverte de films par époque ou par période. J’aime beaucoup l’idée de m’asseoir devant un écran et de visionner un film. Mais j’ai beaucoup moins le temps maintenant et je vis surtout ma cinéphilie avec mon Ipad dans l’avion.
L’album Cinéma a été proposé en concert à l’Olympia. La captation de ce concert sort cette semaine en DVD. Quel était le sens pour vous de ce concert dans une salle si particulière et de cette captation ?
Tout cela s’est fait par escaliers. À la base, il y avait pas de concert à Paris pour la sortie du disque et c'était dommage de ne pas compléter la parution par un évènement. Nous étions déjà fort avancés dans le temps, ma saison était déjà complète et les salles allaient communiquer sur les leurs. J’ai alors émis l’idée de l’Olympia : c’est une salle mythique où j’avais entendu tant de fabuleux concerts. Le projet Cinéma est bien adapté à une salle qui n’est pas rattachée au monde de la musique classique et où j’avais l’habitude de me produire. Le public était aussi différent de celui qui à l’habitude de me suivre et il y avait une belle part de nouvelles personnes. C’était un moment très spécial, une formidable ambiance que j’ai pu vivre aussi en famille et avec mes amis. La captation s’est greffée sur le concert bien plus tard, à quelques semaines de la date, et puis la télévision s’est montrée intéressée. Tout cela s’est fait de manière fort étagée, assez loin des images d’une communication organisée très en amont.
Sur le DVD qui va sortir, vous avez ajouté au programme du disque un extrait de la musique du documentaire Hippocrate aux enfers de Michel Cymes, composée par Jean-Pascal Beintus. Qu’est ce que cette musique représente pour vous ?
J’ai pris beaucoup de plaisir à l’enregistrer, c’est une pièce magnifique ! Michel Cymes m’avait appelé pour me demander de contribuer à la musique de son documentaire. N’étant pas compositeur, j’ai fait appel à Jean-Pascal Beintus. Avec mon quatuor, le clarinettiste Paul Mayer et le pianiste Jérôme Ducros, nous avons enregistré cette musique. Ensuite, l’équipe de Jean-Pascal a proposé d'en faire une transcription orchestrale pour le concert à l’Olympia et j’ai tout de suite accepté. J’ai intégré la pièce avant LaListe de Schindler, c’est une musique superbe, très bien orchestrée, et je suis très heureux de l’avoir programmée au concert et de la retrouver désormais sur le DVD.
Le site de Renaud Capuçon : www.renaudcapucon.com/fr/
Le site du Festival de Pâques d'Aix-en-Provence : www.festivalpaques.com
Crédits photographiques : Simon Fowler
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot