Alexandra Conunova, violoniste polyglotte et engagée

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Lauréate des concours Tchaïkovski de Moscou et Joachim de Hanovre, élève de Renaud Capuçon, Alexandra Conunova est l’un des grands talents émergents de notre époque. Parlant sept langues, cette jeune musicienne aime les défis et défricher des pans inconnus du répertoire violonistique. Alors qu’elle prend part à deux parutions discographiques consacrées à Ludwig van Beethoven et Jean-Pascal Beintus, Alexandra Conunova répond aux questions de Crescendo-Magazine  

Vous êtes originaire de Moldavie, vous résidez en Suisse et vous parlez 7 langues. Est-ce que vous vous définissez comme une citoyenne du monde ? La notion d'identité est-elle importante pour vous ?

En menant une vie de soliste, je suis bien évidement et surtout une citoyenne du monde. L’affirmer peut sembler banal mais c’est la vérité ! Je suis originaire d’une famille russophone de Moldavie, j’ai étudié en Allemagne et maintenant je réside en Suisse...J’ai l’énorme chance de vivre dans une époque qui offre la possibilité de voyager partout et le fait de parler sept langues me permet de me sentir bien où je vais. Mais au plus profond de moi je me sens Moldave, je suis fière de mon pays, de sa culture, de ses coutumes et de ses habitants. Mon pays me manque toujours, mais je suis très touchée et reconnaissante par l’accueil que l’Europe m’a réservée à mes débuts en 2004 lors d’un concert à Vienne. Pour moi, il est extrêmement important de ne jamais oublier ses origines mais je considère que l’identité se construit au long de toute une vie.

Vous êtes en soliste de l'enregistrement de la “Suite de concert sur le Petit prince d’après Antoine de Saint-Exupéry” de Jean-Pascal Beintus (21 Music). Comment incarne-t-on musicalement un tel personnage “légendaire” de la littérature ? Est-ce qu’il faut garder son âme d’enfant pour être le Petit prince au violon ?

Depuis toute petite, j’ai une imagination assez débordante qui m’emmenait très loin, parfois trop loin ! Ce fut absolument magique d’incarner musicalement le personnage du Petit prince pour lui donner une vie à travers les notes ! Il est vrai que dans le monde parfois impersonnel et froid d’aujourd’hui, il nous est difficile de garder ou faire ressortir la part d’enfant qui vit encore en nous. Mais en étant maman d’un garçon de 7 ans, je retrouve mon esprit rêveur en lui lisant les contes, et notamment le Petit prince. Je fais le voyage imaginaire dans le temps et je me laisse emporter par les émotions qui s’éveillent en moi. Pour la “Suite de concert sur le Petit prince” d’après Antoine de Saint-Exupéry” de Jean-Pascal Beintus, j’étais éblouie par la précision et la manière dont le compositeur a su trouver les rythmes, les harmonies, et utiliser les instruments pour décrire les personnages en musique.

Le livre d’Antoine de Saint-Exupéry est l’un des grands succès mondiaux de la littérature. Comment avez-vous découvert ce livre ? Est-ce qu’il a un sens particulier pour vous ?

Bien avant que je puisse lire, ma famille m’a toujours dis : “tu deviens toujours responsable de ce que tu as apprivoisé”. J’ai grandi avec cette morale, que j’ai assimilée et que je continue d’appliquer dans ma vie quotidienne. Ce livre est comme un puit infini, un trésor à mille facettes et une inspiration hors norme. À chaque étape de notre vie on peut y retourner pour tâcher d’y retrouver la bonne voie.

Vous êtes également l’une des protagonistes d’un récent enregistrement du Triple Concerto de Beethoven avec l’Insula Orchestra de Laurence Equilbey (Erato). Pour l’oeuvre de Jean-Pascal Beintus vous êtes accompagnée du London Symphony Orchestra et pour Beethoven vous êtes aux côtés d’un orchestre sur instruments d’époque. Qu’est-ce que cela implique dans votre préparation et votre travail aux côtés de ces phalanges symphoniques ?

Chaque collaboration est une marche d’un escalier dans ma vie professionnelle. À chaque fois que je vais dans des endroits différents, je fais la connaissance de nouveaux collègues, de nouveaux orchestres, de nouveaux chefs et de nouvelles musiques. Cette partie de ma vie nécessite un pouvoir d’adaptation et une grande légèreté d’esprit. Je suis animée par une curiosité et une envie de découvertes. Avant la collaboration avec l’Insula Orchestra je n’avais jamais approché les cordes en boyaux des instruments d’époque. Le travail avec Laurence Equilbey m’a profondément inspirée et il a ouvert de nouvelles portes dans mon horizon artistique. Je les ai apprivoisées et intégrées dans mon bagage professionnel. D’autre part l’enregistrement de la musique de Jean-Pascal Beintus était aussi une aventure à travers un territoire absolument inconnu pour moi. Il est toujours incroyable de pouvoir toucher à la pensée et au ressenti du compositeur en travaillant à ses côtés. C’est un aspect trop rare dans le monde de la musique classique où l’on côtoie plutôt des compositeurs des temps passés !

Vous venez de participer à un concert suisse en hommage au trop oublié Arthur Lourié. Vous avez interprété le Concerto da Camera pour violon et orchestre à cordes. Comment avez-vous découvert cette partition ? Comment pourriez-vous décrire cette oeuvre pour nous donner envie de l’entendre ?

Vous avez touché en même temps un point faible et un point fort de ma sensibilité. Faible : parce que je suis tombée amoureuse de cette oeuvre, comme on tombe amoureux dans la vraie vie ! Dès la première écoute, j’ai été ensorcelée ! C’est un concerto en six parties : il commence par un mouvement dédié au violon solo pour se terminer par un tutti des cordes alors que chaque partie fait dialoguer le violon avec une addition progressive des autres instruments ! Le point fort : je trouve qu’il n’y pas un autre concerto qui m’ait autant appartenu et où je me sois autant identifiée avec la musique, la forme, l’idée et l’âme. Afin de faire passer l’impulsion au public, l’artiste doit servir la musique et donner le plus sincère de soi. Je suis infiniment reconnaissante à mon ami Numa Bischoff Ulmann, directeur du Sinfonieorchester Luzern qui, par son festival Zaubersee à Lucerne, m’a fait un cadeau sans précédent en me permettant de découvrir cette oeuvre d’Arthur Lourié. Je serai à vie une ambassadrice acharnée de ce concerto pour le faire découvrir partout où j’en aurai l’opportunité.

Quels sont les grands violonistes que vous admirez (et pourquoi) ? Qu’ils soient du passé ou de notre temps ?

J’admire les violonistes, notamment pour leur force, leur courage et leur désir incessant de toujours donner de soi. J’admire mes collègues pour leur fragilité, leur sensibilité car il en faut quand on est un vrai artiste, même si on ne le montre pas. Les violonistes du passé qui m’ont marqué sont : Mischa Elman, Jascha Heifetz, Nathan Milstein et Joseph Szigeti. Pour mes contemporains : Pinchas Zuckerman, Frank Peter Zimmermann et tant d’autres !

Vous avez étudié avec Renaud Capuçon. Qu’est-ce que cela vous apporte, de suivre les cours d’un tel musicien ?

C’est toujours incroyable d’approcher un artiste d’une telle stature mondiale. Ses conseils sur la musique de Beethoven, Debussy ou Schubert m’ont beaucoup imprégnée. La notion du « soyeux du son » dont il m’a toujours parlé -pour avoir un son toujours beau et soigné- m’accompagne au quotidien. Renaud Capuçon est devenu, au cours du temps, plus qu’un professeur ou un collègue. Je suis honorée de pouvoir compter au nombre de ses amis. C’est un exemple pour nous car il est un musicien extraordinaire et d’une discipline hors norme. Renaud Capuçon est l’une des premières personnes qui ait vraiment cru en moi.

Je vous sais très admirative du chef d’orchestre Teodor Currentzis. Qu’est ce qui vous fascine chez ce musicien ?

J’ai connu Teodor il y a 5 ans, à Ferrara en Italie, à l’occasion d’un concert avec le magnifique Mahler Chamber Orchestra. Je n’oublierai jamais la répétition de trois heures et demie consacrée au Concerto de Sibelius. Nous l’avons mis en place comme un puzzle qui est devenu à la fin une image parfaite. Teodor ne suit pas la foule, il a sa propre voix ! C’est un vrai serviteur de la musique et un altruiste de l’art. Quand je vais à ses concerts, je suis toujours tellement éblouie que j’ai l’impression qu’il nous donne des ailes et que l’on est dans une autre dimension.

Vous êtes une adepte des réseaux sociaux, le musicien ou la musicienne des années 2010 est-il obligatoirement connecté ?  

Bonne question ! Pour être honnête je ne sais pas. Je pense que l’on perd beaucoup de temps et parfois d’humilité sur ces réseaux. Mais de l’autre côté, on ne peut plus imaginer notre vie sans ces vecteurs d’ultra-communication. Mais il nous faut nous recentrer sur la musique et rien que la musique ! Un artiste a une mission sacrée ici sur terre ! Nous avons la chance de faire un métier exceptionnel et on est dans l’obligation de savoir faire la synthèse, loin du monde virtuel, entre la vie quotidienne et notre merveilleux devoir d’artiste.

Retrouvez Alexandra Conunova au disque :

Jean-Pascal Beintus, Suite de concert sur le Petit prince d’après Antoine de Saint-Exupéry, Alexandra Conunova, violon ; Bryn Lewis, harpe ; London Symphony Orchestra, Quentin Hindley. 21 Music.

 

Ludwig van Beethoven : Triple concerto, Op.56 ; Alexandra Conunova, violon ; Natalie Klein, violoncelle ; David Kadouch, piano. Insula Orchestra, Laurence Equilbey. Erato.  

Le site d’Alexandra Conunova : http://conunova.com/

Propos receuillis par : Pierre-Jean Tribot

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