L’opus ultimum de Mascitti, dans une interprétation magistrale

par

Michele MASCITTI (1664-1760) : Sonate a violino solo e basso, opera nona. Quartetto Vanvitelli : Gian Andrea Guerra, violon ;  Nicola Brovelli, violoncelle ; Mauro Pinciaroli, archiluth ; Luigi Accardo, clavecin. Juillet 2019. Livret en anglais, français, italien. TT 68’43. Arcana A473

C’est en 1738, avec cet opus 9, que Michele Mascitti tirait sa révérence, bientôt paisiblement retiré dans la demeure parisienne des Crozat, richissime famille de la capitale qui le pensionna pendant les vingt dernières années de sa vie. Quelques mois après cet opus ultimum, il se mariait en grande pompe à l’église Saint Eustache et il obtint la nationalité française. Car il était né dans les Abruzzes et, après des études à Naples auprès de son oncle violoniste, se décida en 1702 à franchir les monts pour chercher fortune auprès des cénacles, sous le règne de Louis XIV. En novembre 1704, le Mercure Galant vantait déjà son talent lors des concerts applaudis par le Roi et le Grand Dauphin ! La régence de Philippe d’Orléans, le contexte progressiste, l’avènement d’une aristocratie recentrée à Paris, l’ouverture au goût italien profitèrent à Mascitti qui put tirer ressource de ses premières partitions (toutes imprimées, ce qui n’était alors pas si banal) avant que sa situation ne soit encore confortée par le cercle d’Antoine et Pierre Crozat devenus ses employeurs et mécènes. 

Dans l’opera nona, le modèle de la sonata da chiesa se dépasse vers la sonata da camera appréciée des salons. Inaugurant en France le genre du concerto grosso (dans l’opus 7), le compositeur n’avait pas renié le style napolitain (notamment celui de Corelli, rencontré avant son exil) qu’il accommoda aux « goûts réunis », ce que l’on constate dès la première Sonate de ce recueil. On trouve textuellement deux exemples d’Allemanda, mais aussi des danses qui ne disent pas leur nom, ainsi des sortes de sarabande dans la Sonate n° 7 et une gigue dans la cinquième. On se rappellera que l’opus 8 incluait déjà des courantes, gavottes ou musettes. Le contraste expressif (tant dans les oppositions dynamiques que l’alternance des modes majeur/mineur), les émois caractérisent aussi certaines pages, à l’instar d’un larghetto et affetuoso signant une inspiration galante qui imprégnait l’époque et qu’on retrouve dans les toiles de Watteau (opportunément choisi pour illustrer la pochette).

La partie violonistique se montre agile, parfois à l’affût des éclats vénitiens, quoique toujours cadrée par l’élégance typique de la nouvelle patrie du compositeur. Lequel se distinguait aussi par la richesse de son continuo, dans une écriture commençant à briguer l’autonomie, annonçant l’ère classique de la musique de chambre qui allait advenir dans le second XVIIIe Siècle. Même si la notoriété de Mascitti est aujourd’hui un peu dans l’ombre, le Mercure Galant, dès 1713, citait ses sonates comme « immortelles » à l’égal de Corelli et Albinoni.

Les présentes sessions se déroulèrent à l’église San Medardo de Peli, la veille d’un concert avec lecture sollicitant la participation du poète Giorgio Montanari. En décembre 2017, le Quartetto Vanvitelli avait déjà enregistré l’opus 8 à Crema en Lombardie. Côté continuo, le violone de Matteo Cicchitti cède ici la place à l’archiluth de Mauro Pinciaroli. Et Gian Andrea Guerra échange son anonyme italien contre un splendide instrument (2018, Adrian Salazar de Crémone) d’après le « ex Bavarian » (1726) de Stradivarius. La dextérité d’une ornementation dépourvue de coquetterie, le souffle court des phrasés nous présentent une magistrale géométrie, aux tesselles parfaitement ajustées. Un chef d’œuvre digne d’un opus sectile. Pour dire aussi que la respiration fort serrée n’est pas de celle qui flatterait au mieux les influences galantes de certaines pages, ou qui l’enjoliverait (on guette un sourire dans l’allegro de la sonate en ré majeur). La variété des attaques et l’inventive conduite d’un archet qui ne s’empèse jamais, ganté par la noblesse du ton, nous valent un tracé pur quoiqu’un brin austère. C’est peut-être une autre variété du coloris et une meilleure ventilation du discours que pourront regretter les auditeurs qui ne seraient pas pleinement admiratifs de la maestria de l’interprétation. Sous tout autre aspect, chapeau bas, et en tout cas voilà un disque de très grande classe.

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

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