En l’honneur de la basse de viole, un premier disque très réussi
LES DEFIS DE MONSIEUR FORQUERAY. CORELLI, MASCITTI, LECLAIR. Lucile BOULANGER, basse de viole ; Pierre GALLON, clavecin ; Claire GAUTROT, basse de viole ; Romain FALIK, théorbe. 2018-76:07-livret en français et anglais- harmonia mundi HMM902330
Tout dans ce premier disque respire l’intelligence (entretien avec Lucile Boulanger), la culture (choix des œuvres), la fascination musicologique (rapprochement des écoles françaises et italiennes, ce que l’on appelait à l’époque « les goûts réunis »), la résurrection d’un style d’interprétation sur des instruments délaissés depuis plus de trois siècles mais alors (XVIe-XVIIe) cultivés avec autant de virtuosité que d’amour. Et puis, comment ne pas admirer l’exactitude fondamentale d’une jeune et belle interprète qui semble de loin rejoindre les voix d’une interprétation aussi rigoureuse que fluide. Sur la pochette, son regard perdu dans le temps passé « écoute » - c’est vraiment le mot- les confidences de Jean-Baptiste Forqueray (1699-1782) lui même fils d’un père fabuleux violiste (Antoine, 1672-1745). Mais ici, la réflexion se conjugue avec la technique, l’idée avec le faire – et réciproquement. Quelle merveilleuse idée a eu Lucile Boulanger de se glisser dans le vaste espace de jeu d’un virtuose violiste d’il y a trois siècles. Ainsi nous transporte-t-elle dans un univers intime libre et fantasque. Quelles partitions brillantes de ses confrères et rivaux violonistes, le violiste aurait-il choisi ? Comment Forqueray les aurait-il adaptées à son instrument et à sa « manière » ? Un exercice audacieux s’il n’aboutissait à une aussi éblouissante réussite ! A commencer par la IIIe Sonate de Corelli avec ses entrées différenciées et ses orbes successives ouvrant sur une véritable fête centrale. La IIe Sonate de Jean-Marie Leclair à violon seul avec basse continue se révèle aussi convaincante tout comme Michele Mascitti (1664 ?-1760) tandis que la viole réapparaît avec Forqueray. La couleur du continuo varie selon l’humeur de chaque pièce renouvellant sans cesse l’intérêt. Proche des Messieurs de Port-Royal, le jeu d’archet reste primesautier, tour à tour volubile ou impérieux. Rien de trop sévère ni de mièvre. La rhétorique, ici, invite à rêver, musarder ou s’affliger. Furieux bariolages, portraits musicaux affûtés ou mélancolie, les interprètes nous transportent dans le temps et partagent avec nous une forme de beauté toute frémissante de vie.
Bénédicte Palaux Simonnet