Bliss et Rubbra : superbes concertos pour piano et orchestre par Piers Lane

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Edmund RUBBRA (1901-1986) : Concerto pour piano et orchestre op. 85. Sir Arnold BAX (1883-1953) : Morning Song « Maytime in Sussex » pour piano et orchestre. Sir Arthur BLISS (1891-1975) : Concerto pour piano et orchestre. Piers Lane, piano ; The Orchestra Now, direction Leon Botstein. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 77.27. Hypérion CDA68297.

Dans sa série « The Romantic Piano Concerto », le label Hypérion propose, dans ce qui est déjà le 81e volume d’une collection riche en raretés, trois pages anglaises de superbe tenue. Le programme s’ouvre par le Concerto pour piano et orchestre de 1956 d’Edmund Rubbra, né à Northampton, d’où est originaire aussi Cyril Scot pour lequel il éprouve une grande admiration. Le parcours de Rubbra est atypique : après avoir reçu l’enseignement de sa mère pour le piano, il poursuit ses études seul tout en travaillant en usine dès l’adolescence et se met à composer. C’est l’obtention d’une bourse qui lui permet de s’inscrire au Royal College of Music où il compte Gustav Holst et Ralph Vaughan Williams parmi ses professeurs. Son catalogue comprend de la musique de scène dont un opéra, de la musique de chambre et chorale, mais aussi une abondante production orchestrale dont onze symphonies entre 1935 et 1979.

Dans son Histoire de la musique anglaise (Paris, Fayard, 1992, p. 261), Gérard Gefen écrit que Rubbra « personnifie le mieux le personnage du compositeur conservateur, attaché à la tradition par le double lien de la polyphonie élisabéthaine et du folk song ». C’est limiter fortement la part créative d’un compositeur dont les oeuvres révèlent non seulement un amour philosophique de la nature à travers un côté pastoral très fluide, mais aussi une capacité d’orchestration ancrée aussi bien dans le folklore que dans les aspects les plus bariolés et les plus séduisants. Le premier mouvement de son concerto pour piano et orchestre est inspiré par un virtuose hindi du sarod (instrument à cordes pincées du nord de l’Inde). Le livret explique que Rubbra a été impressionné par les « variations évanescentes » entendues à cette occasion et par la fusion entre les musiciens. Mais Rubbra était aussi passionné par la botanique : ce premier mouvement est placé sous le signe du corymbe, plante en forme d’ombrelle avec des étagements de grappes. Cette allusion directe et la poésie qui s’en dégage se reflètent dès le début de la partition qui s’ouvre dans un climat sobre et fin où le piano et la clarinette apparaissent en demi-teinte. Une ambiance éthérée traverse cet Adagio initial à la fine orchestration. Le caractère lyrique est très présent et il peut même prendre une coloration mystique, Rubbra étant attiré aussi par les théories théosophiques d’Helena Blavatsky (1831-1891) et sa théorie universaliste. Toute la partition baigne dans ce climat semi-mystique, avec un mouvement central lent et solennel, et un final dansant très joyeux qui éclate comme un salut à la nature dont la capacité d’envoûtement est grande. Il existait déjà au moins une version de ce concerto par Denis Matthews avec le BBC Symphony Orchestra sous la direction de Sir Malcom Sargent, reprise dans la série « British Classics » d’EMi en 2006. 

Le Concerto pour piano de Sir Arthur Bliss est d’une essence différente. Il s’agit d’une commande pour l’Exposition universelle de New York en 1939 ; la création a eu lieu au Carnegie Hall par Solomon, le 10 juin de cette année-là, l’Orchestre Philharmonique de New York étant placé sous la baguette de Sir Adrian Boult. Bliss, dont la mère est américaine, naît en 1891 à Londres. Comme Rubbra, il aura pour professeurs Holst et Vaughan Williams, mais aussi Stanford. Blessé pendant la Première Guerre mondiale, il commence à composer après le conflit. En 1922, sa Colour Symphony, avec des mouvements aux intitulés évocateurs (Violet, Rouge, Bleu et Vert) le rendent célèbre. Attiré par le modernisme, il produit abondamment. Mais il va peu à peu revenir à une écriture plus conservatrice. Il fait des séjours espacés aux Etats-Unis pour enseigner, est nommé directeur de la BBC pendant la Seconde Guerre mondiale et, une fois anobli, prend la succession de Sir Arnold Bax au titre de Maître de Musique de la Reine. Son Concerto pour piano est une partition aux vastes dimensions d’une quarantaine de minutes, parsemées de difficultés techniques. Le piano s’active d’emblée dans une série de doubles octaves qui lancent l’Allegro con brio initial dans un contexte fiévreux, énergique et fortement rythmé. L’Adagietto qui suit est au contraire placé sous le signe d’une paisible plénitude, parfois troublée par des harmonies dissonantes, que la notice attribue à la crainte des événements tragiques qui vont bientôt dévaster l’Europe. Le troisième mouvement, un Andante maestoso - Molto vivo accentue l’effet de menace à travers une série de phases agitées au cours desquelles le piano entre comme en transes, l’œuvre se terminant en grandiose apothéose. Voilà une partition de haute volée qui mériterait d’être programmée plus souvent, car elle est de bout en bout passionnante et d’une grande force pianistique. Peter Donohoe en avait déjà donné une belle version en 2004 chez Naxos avec le Scottish National Orchestra dirigé par Lloyd-Jones 

Entre les deux concertos, une courte page de Sir Arnold Bax est proposée. Ce compositeur raffiné, imprégné de la tradition celtique et défenseur de l’Irlande où il vécut pendant plusieurs années, a fini sa carrière au service de la Reine. Retiré dans le Sussex, il compose en 1947 Morning Song, un hommage à la Princesse Elizabeth à l’occasion de son 21e anniversaire. C’est une pièce sans prétention, de nature bucolique, qui salue aussi bien la jeunesse que le renouvellement printanier de la nature ; celle-ci a beaucoup inspiré Bax dans ses sept symphonies et ses nombreux poèmes symphoniques. La délicatesse de l’inspiration se traduit par la retenue du piano et la respiration globale, qui fait songer à une promenade.

Le pianiste australien Piers Lane, installé à Londres, a été invité par les Proms à plusieurs reprises. Habitué des partitions rares, il a enregistré pour le label Hypérion des oeuvres de Ries, Williamson, Scriabine, Moscheles ou Henselt, des transcriptions de Grainger, Bach ou Strauss… Il fait ici la démonstration d’un engagement à la fois inspiré et convaincu ; sous ses doigts, les partitions acquièrent la noblesse qu’elles réclament et méritent. La phalange étasunienne qui l’accompagne, The Orchestra Now, dirigée par son fondateur, le chef suisse-américain Leon Botstein, participe à cette réussite. La musique anglaise n’a pas fini de nous révéler ses joyaux.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

    

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