A Auch, Jean-Christophe Revel joue  le Second Livre d’orgue d’André Raison

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Dernières lueurs du Grand Siècle. André Raison (c. 1650-1719) : Second Livre d’orgue, extraits. Jean-Christophe Revel, orgue Jean de Joyeuse de la cathédrale d’Auch ; Vincent-Lièvre Picard, haute-contre ; Lisandro Nessis, taille ; Jean-Manuel Candenot, basse-taille. 2018. Notice en français et en anglais. 77.54. Paraty 6221119.

Dans le département du Gers, en région occitane, la Cathédrale Sainte-Marie d’Auch, de style gothique flamboyant, possède un instrument somptueux dont l’inventaire national des orgues français précise qu’il a été en son temps l’un des plus renommés du royaume et qu’il est le plus grand orgue français Louisquatorzien. Ce vaste édifice en trois nefs, basilique mineure depuis 1928, a été consacré en 1548, mais, entamé en 1489, il a demandé en réalité deux siècles de construction. La mise en place du grand orgue de tribune (dont on aurait apprécié une reproduction en couleurs au cœur de la pochette) a été confiée à Jean de Joyeuse (1638-1698), qui a œuvré aussi à Carcassonne, Béziers ou Toulouse. L’instrument a été classé au titre de monument historique en 1934. 

De légères modifications ont été apportées au XIXe siècle, avant qu’une première restauration ne soit effectuée dans les années 1950, mais elle se révéla insatisfaisante. Une remarquable reconstitution à l’identique a été réalisée de 1992 à 1998 par Jean-François Muno, décédé il y a deux mois à l’âge de 82 ans. Les organistes Odile Pierre et André Isoir se sont produits lors de l’inauguration. Quelques disques, réalisés par Michel Chapuis, André Marchal, Marie-Claire Alain, Frédéric Muñoz, Georges Guillard ou, déjà, Jean-Christophe Revel, témoignent des remarquables qualités de cet instrument, dont la composition détaillée est proposée dans le présent album.

Dans cette production Paraty, le titulaire de l’orgue d’Auch, Jean-Christophe Revel, qui s’est perfectionné auprès d’Odile Bailleux et collabore régulièrement avec le compositeur Jacques Lenot, propose des extraits du Second Livre d’orgue d’André Raison, compositeur à la biographie incomplète, né aux alentours de 1650 et décédé à une date non certaine en 1719. Ce petit-maître a été organiste à l’Abbaye royale Sainte Geneviève du Mont. Nicolas Clérambault, son élève, lui a dédié son seul Livre d’orgue en 1714. Raison laisse une œuvre peu abondante : un premier Livre d’orgue en 1688, qui contient cinq messes. On lira les détails insérés dans la notice, notamment en ce qui concerne les registrations dont Revel s’est inspiré, qui se basent sur la table établie par le compositeur dans la préface de cette première partition et sur le fait que certaines pièces prennent leur origine dans des mouvements de danses. Gavotte, rigaudon, sarabande, gigue seront actifs dans les Noëls du Second Livre, qui date de 1714. 

Nous sommes à la fin du règne de Louis XIV, avec son poids de guerres à répétition et de malheurs sociaux. Le Premier Livre se terminait par une Offerte, ode en action de grâce au souverain à l’occasion de sa guérison après une fistule. Le Second Livre s’ouvre par une antienne, La Paix tant désirée « Da Pacem Domine ». Revel précise dans sa présentation détaillée que deux mystiques apparaissent ici, à savoir la politique (le Roi est une incarnation de par son couronnement) et la religieuse (Le Christ est venu sur terre pour sauver les hommes). Si la première partie comprend l’antienne, suivie d’une fugue, d’un prélude, de deux autres fugues et d’une ouverture, avant une Allemande grave qui sert de transition, la suite du Livre se compose de 18 Noëls (dont 15 sont ici repris), destinés soit aux concerts spirituels de l’Avent et de Noël […] soit à destination des offices alternés avec le plain-chant ou la polyphonie

La restitution entreprise par Revel est présentée dans la forme originale en monodie éditée en 1703 par le libraire parisien Christophe Ballard (1641-1715), ou en polyphonie pour voix d’hommes, dans un arrangement du compositeur Jean-Pascal Chaigne (°1977). Tout ceci est abondamment expliqué dans la présentation, de manière élaborée ; le mélomane s’y référera. Reste l’interprétation. Jean-Christophe Revel utilise avec un goût très fin toutes les possibilités de couleurs et de nuances que lui offrent ces pièces animées et sait diversifier les atmosphères, en particulier dans les différentes incarnations des Noëls, dont il sert avec délices la part populaire. L’humour sous-jacent de Joseph est bien marié, la pittoresque utilisation du flageolet dans le Noël poitevin avec tambourin improvisé ou le Duo sur « Vous qui désirez sans fin » à la manière des cornes de chasse sont des moments délicieux, à travers lesquels on retrouve l’art d’un Grand Siècle arrivé en fin de parcours. 

Une légère monotonie se fait cependant jour si l’on écoute cet album en continu.

Ce n’est pas dû aux interprètes : l’organiste est brillant, et les trois chanteurs qui évoluent dans cinq des vingt-trois pièces (avec cet étonnant Da Pacem Domine initial, où la prise de son permet au soliste de faire presque jeu égal en puissance avec l’orgue) sont bien en situation et apportent une fraîcheur bienvenue. C’est plutôt le fruit de l’inspiration d’un petit-maître, certes de talent, mais sans la grandeur que certains de ses contemporains ont eue dans ce domaine. 

Les amateurs de belles sonorités organistiques connaîtront cependant un vrai plaisir à (re)découvrir le magnifique instrument de la Cathédrale d’Auch, enregistré pour la circonstance en mai 2018. 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix


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