A consommer sans modération L’Elixir d’amour de Gaetano Donizetti
Une fois encore, L’Elixir d’amour de Gaetano Donizetti a suscité l’enthousiasme de spectateurs absolument réjouis des péripéties savoureuses de son livret, des tonalités délicieusement contrastées de sa musique et de l’inventivité constante de sa mise en scène.
Ce dimanche, à Paris Bastille, c’était la 65e fois qu’on le représentait à l’Opéra de Paris et, rendez-vous compte, la 55e fois dans la mise en scène de Laurent Pelly, créée il y a douze ans. Un chiffre révélateur d’une réelle efficacité, au sens le plus positif du terme.
L’histoire en elle-même ne manque pas de drôlerie : Nemorino, jeune paysan un peu niais, aime éperdument la belle Adina. Une coquette convaincue de ses charmes et bien décidée à se jouer du pauvre transi d’amour. En ayant l’air notamment de céder aux insistances de Belcore, un militaire plus qu’imbu de lui-même. Mais le destin s’en mêle. Pas celui, si terrible, de l’« Œdipe » d’Enesco vu la veille dans la même salle, non, un destin malicieux, logorrhéique, « grandiose », en la personne de Dulcamara, un vendeur de poudres de perlimpinpin, d’élixirs en tous genres. Ayant immédiatement repéré « le pigeon », il lui propose un infaillible « élixir d’amour ». En fait, le fond d’une bouteille de Bordeaux… qui a des effets quasi immédiats sur la confiance en soi de Nemorino. Un oncle riche aura aussi le bon goût de mourir, faisant de Nemorino son héritier, et le rendant ainsi tout d’un coup très désirable. Le livret veille bien à ce que l’héritier n’en sache d’abord rien et attribue sa soudaine séduction aux qualités de ce merveilleux élixir… à consommer sans modération dans sa déclinaison lyrique. Evidemment, tout est d’abord mal qui finira très bien !
La musique de Donizetti est à l’aune humoristique du livret. Elle se déploie dans un presque permanent second degré, en étant toujours un peu « trop », comme on dit. Il y a là un beau jeu sur les canons habituels d’œuvres plus tragiques, mais avec roulements de tambour, sonneries de trompettes, et les ruptures de tonalités qui conviennent. Les airs ne manquent évidemment pas de « roulades » plus qu’expressives. Ce qui n’interdit pas de réels moments d’émotion pure. Ainsi tout particulièrement, le si bel air de Nemorino, « Una furtiva lagrima ». Un air qui a valu des « bravo » unanimes de la salle, et même les applaudissements bien visibles, deux mains levées, du chef, à Matthew Polenzani. Giampaolo Bisanti, ce chef, n’a pas boudé son plaisir de donner belles vies (un pluriel voulu) à la partition, bien suivi par les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris. Les autres solistes, Sydney Mancasola-Adina, Simone Del Savio-Belcore, Carlo Lepore-Il Dottor Dulcamara et Lucrezia Drei-Giannetta se sont aussi pris au jeu, pour notre plus grand bonheur.
Il est vrai que la mise en scène de Laurent Pelly leur offre le meilleur « terrain de jeu » qui soit ! Il nous replonge dans une Italie rurale stéréotypée, aux montagnes de bottes de foin, où roulent vespas et mobylettes. C’est en camion-atelier-cabinet de consultation que Dulcamara surgit, c’est un tracteur que conduit un Nemorino passablement éméché. Surtout, Pelly a le sens d’un rythme sans faille, en harmonie avec les développements narratifs et musicaux.
Voilà qui a fait le bonheur d’un public « transgénérationnel », un mot pas très joli pour caractériser une salle ou grands-parents, parents et enfants se trouvaient réunis, pour le meilleur exclusivement.
Stéphane Gilbart
Paris, Opéra Bastille, le 3 octobre 2021
Crédits photographiques : Emilie Brouchon/OnP