Les Contes d'Hoffmann à Barcelone

par

Avec le Teatro Real de Madrid, le Liceu est une des rares maisons d'opéra qui survivent à l'actuelle débâcle. Au dernier mois de décembre, plusieurs représentations de “La Traviata” ont dû être annulées suite à des restrictions gouvernementales drastiques. La direction, ayant fait valoir les efforts techniques et d'organisation mis en pratique pour assurer une sécurité maximale de spectateurs et artistes, a finalement obtenu l'autorisation de continuer leur saison. « Les Contes d'Hoffmann » mis en scène en 2012 par l'équipe de Laurent Pelly retrouvent ici une distribution de haut vol, mais surtout une volonté de survie et de dépassement des difficultés qui frappe le spectateur. L'orchestre, mené de main de maître par Riccardo Frizza, élégant et souple à souhait dans l'accompagnement, chaleureux et structuré dans les parties instrumentales, joue avec un tel degré de concentration qui se met au niveau des plus grands ensembles du moment. C'est vrai que cette phalange suit ces dernières années un mouvement ascendant, mais c'est un plaisir de l'entendre à ce niveau et nous réconforte quant aux menaces qui guettent actuellement les activités culturelles. Car le formidable réservoir de mémoire qui constitue un orchestre et, a fortiori, une maison d'opéra, sont des éléments que les responsables de la culture devraient tenir bien présents lorsqu'ils se fourvoient dans la gestion des problèmes urgents, oubliant que l'art et la culture nous définissent en tant qu'êtres humains.

La version choisie ici est celle des éditions Keck / Oeser où l'acte de Venise suit celui d'Antonia. Pour la cohérence du récit et pour la dramaturgie, cela semble préférable. Et plus proche des projets originaux d'Offenbach qui, comme on sait, est décédé sans avoir pu compléter son opéra le plus ambitieux, son véritable testament artistique.

Hoffmann est chanté par le ténor mexicain Arturo Chacón-Cruz. Parrainé par ses éminents compatriotes Vargas et Domingo, on peut parler d'un artiste engagé, bon acteur, aux aigus éclatants et à la bravoure manifeste. On peut cependant regretter un certain manque de « squillo », cette couleur d'airain dans le haut médium qui sied aussi bien au personnage. Le jeune soprano espagnol Elena Sancho Pereg campe una Stella séduisante et musicale, avec une voix dont la beauté est éblouissante. Nicklausse fut confié, suite au forfait de Stéphanie d'Oustrac pour des raisons de santé, au jeune mezzo catalan Carol García. Elle le chante avec conviction et autorité, on assiste là aux premières armes d'une artiste certainement prometteuse. Olga Pudova assure les redoutables difficultés de la Poupée avec éclat, mais elle ne dépasse pas d'anciennes titulaires légendaires du rôle (Gruberova, Lind, Dessay)

Roberto Tagliavini campe les quatre rôles de baryton/basse avec brio. La richesse en harmoniques de sa voix est splendide. Mais on le sent particulièrement à l'aise en représentant la méchanceté diabolique du Dr. Miracle, ce qui semble littéralement l'amuser... En face, le soprano albanais Ermonela Jaho fut l'une des plus brillantes protagonistes de la soirée. Ses “sfumature” sont absolument irrésistibles et nous rappellent les légendaires pianissimi de la Caballé. Son fortissimo à, par contre, une certaine tendance à la dureté et à des légers écarts de justesse. Je ne la citerais pas non plus comme un exemple de pureté stylistique pour la musique française du XIXème, mais c'est là une réserve de détail, car cela reste quand même du grand art et du très beau chant. Leur duo fut tout simplement splendide. Comme Crespel / Luther, Aleksey Bogdanov campe aisément deux personnages chaleureux et riches.

Le travail de l'équipe Pelly (dont certains de ses collaborateurs lui sont fidèles depuis presque trente ans, ce qui en dit long...) est d'une importance cruciale dans le succès de cette production. On retrouve trop souvent des metteurs en scène médiocres qui prétendent réécrire le scénario, « actualiser » ou changer l'apport du librettiste original en oubliant que la véritable création ce sont les nouveaux opéras et que les des anciens ont très bien survécu sans avoir besoin d'eux. Avec Pelly, c'est raconté avec tellement de spontanéité, de vérité et de souplesse qu'on n'arrive pas à imaginer qu'Offenbach aurait voulu autre chose. Le dispositif scénique conçu par Chantal Thomas, avec ses plateformes et cloisons mobiles qui permettent de changer le décor à vue plus de trente fois pendant la représentation est prodigieusement efficace, il y a là avec quelques élans de génie comme la balançoire qui rapproche et éloigne Olympia dans l'air de la vue d'Hoffmann -image aussi des acrobaties de la cantatrice- ou les escaliers sur le vide qui le séparent et rapprochent ensuite d'Antonia. Et la véritable chorégraphie qu'effectuent les chœurs épouse parfaitement les contours d'une musique dont le tréfonds tragique est souvent paré d'une vivacité toute mozartienne, fut-elle des Champs-Elysées, comme disait Rossini. Trop de metteurs en scène évitent la difficulté de rendre vivante la masse humaine, alors que Pelly s'en amuse et nous régale de sa permanente inventivité. Tous les éléments scéniques sont d'un pareil calibre : tant la création vidéo comme les costumes ou les figurines contribuent à la plasticité d'une création théâtrale tout simplement parfaite.

Barcelone, Liceu, 16 janvier 2021

Xavier Rivera

Crédits photographiques :  A. Bofill

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.