A Florence un Domingo abasourdissant 

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Au cours de chaque saison, le Mai Musical Florentin constitue l’un des événements majeurs dans le panorama des scènes italiennes. Pour l’édition actuelle, le surintendant Alexander Pereira affiche six nouvelles productions, dont deux d’ouvrages rares, Acis et Galatée de Jean-Baptiste Lully et I Due Foscari de Giuseppe Verdi.

De ce sixième opéra, créé au Teatro Argentina de Rome le 3 novembre 1844, la Teatro della Pergola de Florence fut le quatrième à l’afficher le 17 janvier 1845 puis le reprit trois fois jusqu’à 1905. Curieusement, la ‘Verdi Renaissance’, qui fleurit en Italie à partir de 1951, le laissa de côté. Et c’est donc septante ans plus tard que l’imposante nouvelle salle du Maggio Musicale Fiorentino le présente en faisant appel à Grischa Asagaroff qui élabore une mise en scène linéaire qui se contente de narrer la trame rocambolesque avec efficience. Son scénographe, Luigi Perego, constitue un décor fonctionnel, fait de parois à caissons, qu’entoure une large passerelle à double escalier. Au centre est érigée une tourelle pivotante dont les battants révèlent les lieux d’action. Quant à ses costumes, ils sont historiques en jouant sur l’unité du coloris sous les suggestifs éclairages de Valerio Tiberi. Cependant, au lever de rideau de l’acte III, nous surprennent ces membres du Grand Conseil, vêtus de magnifiques tuniques rouges sous vaste manteau azur mais portant sur la tête des coiffes en forme de proue de gondole. Mais la chorégraphie de Cristiano Colangelo glisse une note de franche gaieté avec sa dizaine de danseurs célébrant la régate victorieuse. 

Sur scène, l’attention se porte inévitablement sur Placido Domingo qui, à 81 ans avérés (84 selon certains), campe le vieux Francesco Foscari. Revenu à la tessiture de baryton après les rôles de ténor dramatique qui ont fait sa gloire planétaire, il force une inconditionnelle admiration par ce timbre inaltéré (même si trop clair pour un baryton), cette diction parfaite qui fait comprendre chaque mot et cette musicalité sans faille qui masque un souffle un peu court en début de représentation. Son incarnation de ce Doge bafoué autant que père martyr touche au plus profond de l’émotion jusqu’au saisissant Final « Questa dunque è l’iniqua mercede ».

Il est du reste le seul à tirer son épingle du jeu en affrontant la direction de Carlo Rizzi qui réduit le style du jeune Verdi à un ‘zoum-pa-pa’ tonitruant dont il s’ingénie à faire ressortir les faiblesses d’écriture, défaut que savaient minimiser un Serafin, un Gavazzeni, un Muti voulant privilégier le souffle dramatique. En pâtit en premier lieu le ténor chilien Jonathan Tetelman personnifiant l’infortuné Jacopo Foscari qui hurle d’un bout à l’autre de la partition afin de mettre en valeur la patine brillante du timbre. Faut-il en arriver aux déchirants adieux à sa famille pour que l’intolérable calvaire lui fournisse quelques inflexions suaves. L’on en dira de même de Maria José Siri, totalement à contre-emploi dans le drammatico di agilità de Lucrezia Contarini, sa vindicative épouse, qui force ses moyens de soprano lyrique pour devenir tragique en massacrant ses aigus et en savonnant tout passaggio de coloratura. Par contre, le jeune Riccardo Fassi donne consistance au rôle sacrifié du machiavélique Loredano par ses péremptoires interventions de basse statuaire. Xenia Tziouvaras et Joseph Dahdah se chargent des seconds plans que sont Pisana, la confidente de Lucrezia, et Barbarigo, membre du Conseil des Dix. Et dans chacune de ses interventions, le Chœur du Mai Musical Florentin préparé par Lorenzo Fratini est d’un beau coloris sombre et d’une louable précision.

Au rideau final, alors que crépitent les applaudissements, Alexander Pereira vient rendre hommage à la longévité de carrière de Placido Domingo qui vient d’achever sa… 4100e représentation ! Invraisemblable prouesse ! 

Paul-André Demierre

Florence, Teatro del Maggio Musicale Fiorentino, le 22 mai 2022

Crédits photographiques : Michele Monasta-Maggio Musicale Fiorentino

 

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