A Genève, le défi d’Alexandre Kantorow dialoguant avec l’OCG
A côté de sa série de concerts à l’abonnement, l’Orchestre de Chambre de Genève en propose treize autres hors catégorie qui sont présentés tant à Genève qu’à l’extérieur. Celui du 13 février est affiché dans un Victoria Hall bondé à l’extrême par un public qui s’est arraché jusqu’au dernier strapontin. Car Alexandre Kantorow, prodigieux pianiste de vingt-sept ans qui avait marqué tous ceux qui l’avaient entendu interpréter le Deuxième Concerto en la majeur de Franz Liszt il y a deux ans, relève la gageure de jouer au cours de la même soirée les deux concerti pour piano et orchestre de Johannes Brahms sous la direction du chef hongrois Gábor Takács-Nagy.
Curieuse idée que celle de commencer par le Deuxième en si bémol majeur op.83 ! Trahi par l’acoustique si particulière de cette salle, l’Orchestre de Chambre de Genève peine à trouver ses marques dans les premiers tutti que le chef tente d’équilibrer, alors que le soliste cultive un son profond dans les arpèges initiaux avant de propulser les accords en cascades striés d’octaves à l’arraché. L’extrême précision de son jeu révèle une maîtrise technique hors du commun qui lui permet d’iriser le cantabile d’aigus clairs et de limpides passaggi contrebalançant les pathétiques envolées qui durcissent la sonorité. Dans la même veine, le Scherzo (Allegro appassionato) affiche une farouche énergie que tempèrent les cordes rassérénées, tandis que l’Andante constitue le point focal par l’ineffable poésie empreinte par le piano à ses longues cantilènes, en dialogue avec le violoncelle solo soutenu par les cordes en demi-teintes. En un scherzando brillant, le Final dégage une vivifiante exubérance qui suscite l’enthousiasme d’un public subjugué par tant d’aisance !
En seconde partie, le Premier Concerto en ré mineur op.15 exhibe une introduction orchestrale déséquilibrée par le manque d’étoffe des cordes face à des vents compacts trop présents. Le piano y répond par une sobriété mélancolique qui s’assombrira progressivement avant de parvenir à un Poco più moderato hymnique qui se déploiera en un crescendo d’expression aux accents tragiques d’une rare intensité. L’Adagio nous révèle un soliste qui s’écoute beaucoup alors qu’il élabore un lyrisme fervent presque incolore que la cadenza dynamisera en usant d’un triplo trillo. Avec une verve impressionnante, le Rondò final impose une fougue nerveuse qui passe en revue les divers états d’âme avant de conclure par de jubilatoires éclats.
Et c’est un véritable triomphe que décerne un public debout à ce magnifique pianiste qui en est manifestement touché au point de lui offrir deux bis d’envergure, une Quatrième Ballade op.10 de Brahms tout en demi-teintes suaves et une Isolden’s Liebestod transcrite par Liszt nous montrant une fois encore qu’il est aujourd’hui sans rival dans ce répertoire.
Genève, Victoria Hall, 13 février 2025
Crédits photographiques : Sebastien Moritz