Musique de chambre avec Alexandre Kantorow à La Roque d’Anthéron

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Depuis son premier prix au Concours Tchaïkovsky l’année dernière, Alexandre Kantorow est devenu l’un des pianistes les plus demandés des scènes internationales. Il est un invité régulier du Festival International de piano La Roque d’Anthéron, c’est d’ailleurs ici qu’il a fait sa première apparition française après le célèbre Concours. Cette année, il s’est produit le 9 août en deux concerts de musique de chambre.

Un voyage épique avec le Trio de Tchaïkovsky

Pour le premier concert, dans la matinée, il forme un trio avec la violoniste Liya Petrova et le violoncelliste Aurélien Pascal. Une seule œuvre figure au programme : le Trio « à la mémoire d’un grand artiste » en la mineur op. 50 de Tchaïkovsky. Soulignons d’emblée le contrôle admirable de l’instrument chez chaque musicien. Le rythme à rubatos subtils, l’ampleur dans chaque phrasé (même à des moments « serrés » il y a un espace), affirmation et discrétion, intimé et grandiloquence, chant, mouvement, passion, douleur… Leur interprétation déborde de volonté, la volonté d’évoquer une vie, réelle (celle de Nikolaï Rubinstein dont Tchaïkovsky fut inspiré) et imaginaire (de veine éminemment romantique), mais aussi leur volonté, délibérée, de faire de la musique.

Dès l’énoncé du thème au violoncelle puis au violon, toutes ces qualités sont là, annonçant trois quarts d’heure de musique riches en émotion. Le ton grave et tourmenté du premier mouvement est remplacé par le thème des variations, au piano, au beau son épuré, repris immédiatement par les deux autres instruments chantants et larges. On assiste à des étincelles d’inspiration parfois étonnantes, comme celle de Liya Petrova qui insère pendant une fracture de seconde un très léger glissando comparable à un violon tzigane, ou encore celle d’Aurélien Pascal qui, dans l’introduction de la valse, joue les mêmes notes répétées dont chacune a un visage très différent. À l’extrême fin de ce poème musical épique, Alexandre Kantorow crée un petit miracle avec ce rythme de la marche funèbre lente et pesante, mais pas lourde pour autant. Le dosage est vraiment subtil, mais il ne semble rien calculer, tout semble si naturel et évident chez lui.

Une soirée Brahms-Debussy-Chopin

Le soir, le trio revient, renforcé par trois autres artistes : le violoniste David Petrlik, l’altiste Antoine Tamestit et le contrebassiste Yann Dubost. Alexandre Kantorow ouvre le bal en solo avec les deux premières Ballades de Brahms et impose magistralement son jeu. Les pièces se déroulent comme un excellent roman, dans une attente toujours renouvelé de ce qui va se passer aux notes suivantes, mais en même temps, on se laisse guider par la profondeur de l’expression.

Liya Petrova se joint à lui pour la Sonate pour violon et piano de Debussy. La violoniste opte pour un Debussy épais et dense, avec une sonorité chaude (premier mouvement). Sa sensualité frôle l’érotisme (la partie habanera du Finale) sans toutefois dépasser la frontière. Si cette épaisseur, charnue et sanguine, nous trouble car nous attendions une musique plus aérée, son interprétation a toutefois la force de convaincre.

Ensuite, c’est au tour d’Antoine Tamestit d’interpréter la Sonate n° 1 pour alto et piano de Brahms. Il s’agit de la transcription par le compositeur de la Sonate pour clarinette et piano. Nos interprètes ouvrent l’Allegro appassionato plutôt large et posé, le caractère qui va évoluer dans le 3e mouvement vers l’expression de grâce (Allegretto grazioso), presque de bonté chez Tamestit. Le Vivace final est très vif, l’altiste élance le corps dans le prolongement du bras, du poignet et de l’archet ; ses gestes sont éloquents dans la direction où il veut mener la musique. Mais le moment le plus délicieux est le mouvement lent. Il s'en dégage une finesse onctueuse qui va au tréfonds de l’âme et apaise l’esprit grâce à la douceur de la voix, cette voix qui irrigue tout ce qui nous entoure… Quel moment !

Pour terminer la soirée, Alexandre Kantorow interprète le Concerto n° 2 en fa mineur de Chopin dans une version pour piano et quintette à cordes. La partie orchestrale, dont l’écriture est souvent qualifiée d’ennuyeuse, prend une autre allure aux archets de cinq solistes ; et ce sont bien des solistes qui la jouent, avec leur part d’affirmation parfois très prononcée alors que,j dans la version originelle, l’orchestre reste habituellement un accompagnement du piano. Et avec de tels compagnons, le pianiste est encore plus affirmatif. C’est un Chopin robuste, musclé, avec une ossature massive, comme on l’entend rarement. Dans Larghetto, le sentimentalisme n’a aucune place dans l'interprétation, mais une délicatesse et une sérénité. Il y brise certains accords à la main gauche, ce qui enrichit le propos mais aussi la sonorité. Il n’insiste pas sur la virtuosité du troisième mouvement (il n’en a nullement besoin), mais on assiste à l’art du temps qui passe, et dans ce temps, chaque instant est une découverte d’un Chopin solidement bâti.

Un bis favori de notre pianiste clôture cette soirée enchanteresse : le finale de L’Oiseau de feu de Stravinsky dans la transcription de Guido Agosti.

Le Festival international de piano La Roque d’Anthéron continue jusqu’au 21 août.

Credits photographiques © Christophe Grémiot

Victoria Okada

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