A Genève, un Orchestra Filarmonica della Fenice de grande qualité 

par
John Neschlig

Pour la première fois dans le cadre de sa saison symphonique, le service culturel Migros Classics invite l’Orchestra Filarmonica della Fenice à donner trois concerts à Genève, Lucerne et Zürich. A l’instar de celui de la Scala de Milan, les instrumentistes vénitiens se sont constitués en formation indépendante en 2007 et ses sont produits initialement le 10 mai 2010 sous la direction de Riccardo Chailly. Mais pour cette tournée suisse, a été sollicité le chef brésilien John Neschling qui, soit dit en passant, avait pour grand-mère l’épouse du maestro autrichien Artur Bodanzky et la cousine d’Arnold Schoenberg ! Elève de Hans Swarowsky à Vienne, il a fait une grande carrière dans sa patrie, notamment à la tête de l’Orchestre Symphonique et du Théâtre Municipal de Sao Paulo, aux Etats-Unis et en Europe ; en Suisse, on l’a vu à la direction artistique du Théâtre de Saint-Gall entre 1990 et 1997 et à l’affiche de la Tonhalle et de l’Opernhaus de Zürich à maintes reprises.
Son programme débutait par l’ouverture de la Semiramide de Rossini, ouvrage dont la création avait eu lieu sur la scène de la Fenice le 3 février 1823. A partir d’un crescendo savamment construit, il en exploite le caractère dramatique, tout en sachant faire chanter le hautbois et le cor ; puis avec un brio soutenu, il développe l’allegro dans un legato d’une rare expression qui se pimentera d’ironie quand basson, clarinette et piccolo ébaucheront la marche des prêtres de Baal. Puis intervint la soliste de la soirée, la mezzosoprano bulgare Vesselina Kazarova, bien connue sous nos latitudes, particulièrement à l’Opernhaus de Zürich où, dès 1989, elle s’est imposée sous les traits d’Annio de La Clemenza di Tito avant de proposer ses autres personnages mozartiens, rossiniens, belliniens et donizettiens et incarner le rôle-titre d’une Belle Hélène dirigée par Nikolaus Harnoncourt ! A plus de cinquante ans, la voix révèle les cassures de registre avec un grave poitriné, un large trou dans le medium et un aigu qui a encore un certain lustre, sans pouvoir éviter les stridences. Même si la formation vénitienne opte pour les demi-teintes soyeuses, faut-il raisonnablement s’attaquer aux Wesendonck Lieder de Wagner ? En dépit de louables efforts, l’émission souvent instable ne peut produire le moindre legato dans ‘Der Engel’, tandis que ‘Schmerzen’ révèle des sons pris par-dessous, ‘Träume’, une intonation souvent précaire. Triste !
Et le concert s’achève par la dernière œuvre orchestrale de Sergei Rachmaninov, les Danses symphoniques op. 45, écrites pour Eugene Ormandy et l’Orchestre de Philadelphie et créées par eux le 3 janvier 1941. John Neschling en étage les plans sonores en cultivant les contrastes d’éclairage et la richesse de la veine mélodique ; la précision du trait met en lumière les détails d’une orchestration raffinée où paraissent en filigrane les motifs du ‘Dies irae’ et du ‘Béni sois-tu, Seigneur’ de la liturgie orthodoxe et l’influence des grandes pages de Ravel et Debussy, voire même du troisième acte de La Bohème. Devant l’enthousiasme du public est concédé un bis, une Barcarolle des Contes d’Hoffmann, toute de vaporeuses demi-teintes.
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 15 Janvier 2017

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.