Zehetmair, la révélation d’un chef

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Les Solistes d’Hulencourt/Thomas Zehetmair/Nelson Goerner
Sans doute était-ce pour s’inscrire dans la liste des célébrations du centenaire de la Première guerre mondiale qu'observent cette saison tant d’organisations culturelles que le dernier concert des Solistes d’Hulencourt, donnée dans une salle du Conservatoire très bien remplie (et dont on attend la rénovation annoncée avec impatience) était placé sous le signe de « Musique face à la guerre ». Le seul problème est le programme n’en tenait qu’assez peu compte, à moins qu’on estime que la Symphonie Héroïque de Beethoven contienne des impressions directement liées aux campagnes napoléoniennes. Mais on aura bien plus de mal à établir le lien qui peut exister entre quelque guerre que ce soit et le très néoclassique concerto pour clarinette d’Aaron Copland, écrit en 1948 pour Benny Goodman, où le premier mouvement, serein et pastoral est suivi d’une cadence virtuose pour le soliste avant un brillant finale mêlant des éléments du jazz swing qu’affectionnait le dédicataire et de la musique latino-américaine. La partie soliste fut tenue avec aplomb par un musicien sorti des rangs de l’orchestre, le clarinettiste ukrainien Vladimir Pavtchinskiy, accompagné avec beaucoup de soin par ses collègues et le chef invité Thomas Zehetmair. Même si le Premier concerto de Liszt ne manque pas de rythmes martiaux, on aura quand même un peu de mal là aussi à voir son rapport avec la guerre, si ce n’est que le compositeur impose au soliste de triompher de bien des embûches. On aura deviné que ce défi n’avait pas de quoi faire peur à un virtuose de la trempe de Nelson Goerner qui, s’il ne maîtrisa pas parfaitement les tonitruantes octaves du début, eut largement l’occasion d’étaler toutes les facettes de son considérable talent par la suite, abordant avec beaucoup de délicatesse les nombreux passages où Liszt fait dialoguer le piano solo avec les solistes de l’orchestre (clarinette, violoncelle), sans parler du fameux duo entre le piano et le triangle. Dans l’ensemble, la volonté de clarté, l’élégance et la hauteur de vues du pianiste argentin firent grande impression.
Si le talent de violoniste et de chambriste de Thomas Zehetmair est bien connu du public bruxellois, ce devait être la première fois que le musicien autrichien se produisait ici en qualité de chef d’orchestre, activité auquel il s’adonne depuis le début des années 2000, ayant passé 12 ans en Angleterre à la tête du Northern Sinfonia et ayant pris les rênes de l’Orchestre de chambre de Paris en 2012. Ce que le public du Conservatoire entendit dépassa toutes les espérances: galvanisant l’ensemble de jeunes musiciens qu’il mena avec une autorité et une intelligence sans failles, le musicien autrichien signa une interprétation d’un véritable tempérament beethovénien et d’une authentique carrure symphonique, sans parler de la sonorité dense et drue qu’il obtint d’un orchestre chauffé à blanc et prêt de toute évidence à se dépasser pour un chef de cette trempe. L’Allegro con brio initial -nerveux, vif, propulsé par une inébranlable et farouche énergie- s’écoula d’un seul et irrésistible jet, comme une torrentielle coulée de lave. Et la Marche funèbre, heureusement débarrassée de toute sentimentalité, fut conduite d’une main très sûre vers un climax remarquablement amené. Même si les cors ne furent pas toujours irréprochables dans les difficiles passages que Beethoven leur destine dans le Scherzo, le mouvement fut à la fois héroïque et plein d’esprit. Dans le Finale, Zehetmair fit -comme dans les mouvements précédents- preuve d’un choix de tempo impeccable et apporta un soin méticuleux à la pulsation rythmique comme à l’équilibre des voix, tout en obtenant de très belles couleurs d’un orchestre visiblement poussé dans ses derniers retranchements, mais à l’engagement et à l’enthousiasme jamais pris en défaut.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Conservatoire, le 30 mars 2015

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