A Genève, un Orchestre de Chambre de Lausanne insolite

par

Christian Immler
Photo: Marco Borggreve

Durant cette saison 2024-2025, l’Orchestre de la Suisse Romande, occupé par les répétitions de Salome au Grand-Théâtre de Genève, invite l’Orchestre de Chambre de Lausanne à se produire deux fois au Victoria Hall en l’espace de quinze jours.

Le premier programme aurait dû comporter les Six Monologues de Jedermann de Frank Martin, remplacés au cours de ces dernières semaines par les Kindertotenlieder de Gustav Mahler. Le baryton-basse Johan Reuter aurait dû en être l’interprète. Tombé malade, il est remplacé au pied levé par Christian Immler, interprète chevronné du lied, actuellement professeur à la Kalaidos Fachhochschule de Zürich.

Le programme surprenant comporte en outre Les Sept dernières Paroles du Christ sur la Croix de Joseph Haydn dans la version orchestrale de 1786, précédant une adaptation pour quatuor à cordes, une réduction pour piano et une version oratorio pour soli, chœur et orchestre datant des années 1795-1796. Les Sept Sonate, d’une durée de près de dix minutes chacune, sont précédées d’une Introduzione  et concluent par un Terremoto (tremblement de terre).

Pour le diriger, l’Orchestre de Chambre Lausanne a fait appel au jeune chef iranien Hossein Pishkar qui s’est formé à Düsseldorf et qui développe essentiellement sa carrière en Allemagne. Dans le programme, il glisse quelques mots : « Avec Les Sept dernières paroles de notre Sauveur sur la croix, Haydn nous fait ressentir la souffrance de Jésus-Christ à travers la musique… Cent cinquante ans plus tard, Gustav Mahler décide lui aussi d’exprimer la souffrance (humaine, cette fois)  de la même manière… »

Par sa volonté, le programme audacieux commence par le premier des Kindertotenlieder, « Nun will die Sonn’ so hell aufgeh’n ». Le baryton y impose un timbre homogène, une diction parfaite, un legato expressif soutenu par le soyeux des cordes enveloppant des bois trop présents qui, au début, cherchent une assise. Avec un naturel surprenant s’enchaînent l’Introduzione  et la Première Sonata de Haydn où le chef recherche l’effet théâtral comme si l’on avait affaire à une ouverture d’opéra, pour laisser affleurer ensuite d’expressives nuances sur une basse généreusement nourrie. Christian Immler propose aussitôt « Nun seh’ich wohl, warum so dunkle Flammen » en recherchant les contrastes de coloris justifiant un pianissimo subito sur  „O Augen, gleichsam“ ou un détimbrage sur le „Nur Sterne“ conclusif. Les Sonates n.2 et 3 de Haydn exposent un motif de déploration que Rossini gardera en mémoire pour son Stabat Mater, avant de se laisser gagner par des élans consolateurs. Dans les trois derniers lieder, le chanteur scandera  le triste « Wenn dein Mütterlein » en se laissant emporter par la douleur sur « Dort, wo würde dein  lieb Gesichten sein », alors que « In diesem Wetter, in diesem Graus » sera le cri de désespoir lancinant qu’apaisera un « Oft denk’ich, sie sind nur ausgegangen » aspirant à la lumière des cimes. Des quatre dernières Sonates de Haydn, impressionne particulièrement la Cinquième avec son pizzicato mystérieux des seconds violons et viole qui innerve la progression d’une insoutenable tension jusqu’au tragique dénouement. Alors que la voix rassérénée s’est tue, éclate le tremblement de terre à coup de traits de cordes cinglants et de percutantes audaces rythmiques qui achèvent ce programme aussi surprenant que captivant qui suscite un enthousiasme du public ô combien mérité !

Genève, Victoria Hall, concert du 16 janvier 2025

Crédits photographiques : Marco Borggreve

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