A Genève, un Orchestre Symphonique de Vienne clinquant
Pour une tournée de concerts englobant Berne, Genève, Zurich et Lucerne, le Service Culturel Migros invite une formation renommée, les Wiener Symphoniker, sous la direction de Petr Popelka, maestro pragois, qui deviendra leur chef attitré à partir de la saison 2024-2025.
Le programme commence par le Concerto pour violoncelle et orchestre en si mineur op.104 d’Antonín Dvořák qui a pour soliste Julia Hagen, faisant valoir à l’âge de 29 ans une rare maturité. A une introduction qui cultive les contrastes d’éclairage avec un cor solo jouant pianissimo, elle répond par des traits à l’arraché donnant consistance à sa sonorité. Puis elle ne se laisse pas décontenancer par un accompagnement empesé par des bois envahissants pour livrer un cantabile expressif, tout en conservant une sobriété réservée, irisée de mille nuances. Sous un magnifique legato, elle développe ensuite l’Adagio en jouant subtilement de l’accentuation pour lui conférer un tour pathétique qui s’étiolera dans les mesures conclusives. Le Final est emporté par de nerveux tutti d’une précision extrême, auxquels elle fait écho par des formules virtuoses à la pointe sèche que diluera la coda en demi-teintes nostalgiques. Face à l'accueil enthousiaste des spectateurs, Julia Hagen fait appel à l’alto solo de l’orchestre pour présenter une Lullaby (Berceuse) de Rebecca Cline, toute de poésie intimiste.
En seconde partie, Petr Popelka propose les deux poèmes symphoniques les plus célèbres de Richard Strauss, Don Juan et Till Eulenspiegel. Par un cinglant tutti occasionnant le motif ascensionnel des cordes, il attaque les premières pages de l’opus 20, en profitant de l’indéniable qualité de chaque pupitre pour développer un somptueux cantabile qu’irise le premier violon dans le suraigu. Aux séquences animées nourries d’une passion dévorante, il s’ingénie à faire succéder les passages rassérénés où le hautbois impose une quiétude chambriste qu’étireront la clarinette et le basson. Mais les paroxysmes de tension frisent une boursouflure digne du grand écran que le tremolo des cordes s’emploiera à émietter en pizzicati inquiétants.
L’évocation de Till l’Espiègle convainc davantage, car le chef se laisse griser par une causticité ironique qui valorise chaque équipée commentée par les soli du cor ou du violon. S’échafaude ainsi un éblouissant kaléidoscope jusqu’au coup de grâce conclusif qui suscite un dernier pied de nez du tutti.
Sur le public médusé par ce dénouement, l’effet est irrésistible et les salves d’applaudissements vont croissantes jusqu’au moment où le chef concède deux bis empruntés à Johann Strauss, une Frühlingsstimmen-Walzer envoûtante, pulvérisée par un Unter Donner und Blitz… électrisant ! Wiener Blut quand tu nous tiens !
Genève, Victoria Hall, 27 mai 2024
Crédits photographiques : Neda Navaee