A la chasse avec Telemann et ses pairs

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Ouvertures pour la chasse. Georg Philipp TELEMANN (1681-1767) : Ouvertures TW 44 : 8 « La Joie », TW 44 : 9 « La Fortune », TW 44 : 10 « La Chasse ». Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759) : Marche, tirée d’Ezio HWV 29. Jean-Baptiste MORIN (1677-1745) : Trois Fanfares à deux trompes. Jean-Joseph MOURET (1682-1738) : Fanfare « La petite Chasse ». Johann Melchior MOLTER (1696-1765) : Marche MWV VIII/29. Alessandro Orlando, cor et Ensemble Sarbacanes. 2019. Livret en français et en anglais. 40.21. Initiale INL 01.

Voilà un programme qui sort de l’ordinaire ; il vise à restituer le comportement et l’utilisation du cor baroque qui était alors tenu « pavillon en l’air », la pratique de l’introduction de la main pour corriger l’intonation n’apparaissant qu’au-delà de 1750. L’ensemble Sarbacanes a délibérément choisi l’option de « s’affranchir de la basse continue et de son système d’accord inflexible » et de partitions « qui ne stipulent pas la présence d’instruments de continuo à la basse. » A l’affiche, trois styles de pièces : des ouvertures de Telemann pour deux cornes de chasse, deux hautbois et un basson, des fanfares pour cornes de chasse seules de Morin et de Mouret, et des marches, une de Haendel, une de Molter. C’est d’ailleurs par Haendel que la dynamique est lancée, avec un extrait de l’opéra Ezio de 1732, dans un contexte militaire qui nécessite cordes et hautbois colla parte, dont deux « corni da caccia ». L’atmosphère solennelle est tout de suite alimentée. 

Les trois Ouvertures de Telemann datent de la période entre 1713 et 1721, au cours de laquelle le compositeur est directeur de la musique à Francfort. La notice explique que cette localité est n’est qu’à trente kilomètres de Darmstadt (dont la bibliothèque conserve maints manuscrits de Telemann) et que des échanges musicaux ont sans doute été concrétisés avec la Cour du Landgrave de Hesse-Darmstadt Ludwig VIII, qui était un passionné de chasse. A la fois divertissement et musique de table, ces partitions sont représentatives des possibilités de l’instrument. Elles sont construites à la manière française, avec une ouverture majestueuse, puis des épisodes aux contrastes divers, leurs appellations respectives « La Joie, « La Fortune » ou « La Chasse » faisant penser à ce que le commentateur désigne par « un contexte extra-chorégraphique ». On découvre ainsi un univers varié et riche, marqué par l’extériorité instrumentale et des timbres aux combinaisons insolites, mais aussi par des moments de délicatesse, voire de tendresse comme dans les Sarabandes. Après chacune des Ouvertures de Telemann, des Fanfares à deux trompes de Morin se font entendre, de très brèves pièces plaisantes, la dernière étant suivie, en bouquet final, par une Marche expressive de Molter dans « un discours galant ». Dans peu d’années, le cor va devenir un vrai partenaire orchestral. 

Les instruments utilisés proviennent de la maison Egger à Bâle, qui a collaboré avec le corniste et restaurateur d’instruments Martin Mürner et a copié en 2012 deux paires de cors baroques d’après Johannes Leichamschneider (Vienne, 1715), chacune dans deux tons uniques, en fa et en ré. Ce parcours décapant, dont la sonorité est séduisante, est servi par l’ensemble Sarbacanes, qui est dédié à la musique du XVIIIe siècle et met les vents à l’honneur. Au départ, l’effectif se limitait à deux hautbois, un basson et un clavecin, mais au fil du temps, il s’est étoffé pour se donner la possibilité de se lancer dans des répertoires différents, de la sonate en trio aux sérénades classiques. Le corniste italien Alessandro Orlando, né en 1990 et qui a fait ses classes à Palerme, se consacre depuis une dizaine d’années aux instruments anciens ; on le retrouve dans des productions de Giuliano Carmignola ou Chiara Bianchi. Son but avoué est de faire sonner le cor « de la manière la plus historiquement informée ». Il y réussit parfaitement dans ce programme coloré et plein de saveur, qui permet d’avoir accès à un répertoire non seulement intéressant, mais aussi révélateur de pratiques du temps, restituées. L’enregistrement a été effectué en novembre 2017, dans une prise de son hélas assez neutre, que l’on aurait aimée plus brillante. Ce CD a aussi un défaut : la brièveté de son programme. A l’heure où les gravures les mieux fournies flirtent avec les 80 minutes, se contenter de quarante minutes est vraiment insuffisant. 

Son : 8  Livret : 8   Répertoire : 8   Interprétation : 8

Jean Lacroix 

 

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