Le charme des concertos pour violon de Mlynarski
Emil MLYNARSKI (1870-1935) : Concertos pour violon et orchestre n° 1 op. 11 et n°2 op. 16. Piotr Plawner, Orchestre Philharmonique Arthur Rubinstein, direction Pawel Przytocki. 2019. Livret en polonais et en anglais. 53.55. Dux 1606.
Les amateurs de grand violon romantique vont être comblés. Le label Dux, qui sert avec fidélité le passionnant répertoire des compositeurs polonais, propose les deux concertos pour violon et orchestre de Mlynarski, immense personnalité du monde musical de son pays pendant la première partie du XXe siècle. Né à Kibarty, cité qui faisait alors partie de l’Empire russe, située aujourd’hui en Lituanie, le jeune Emil fait ses classes à Saint-Pétersbourg, où ses professeurs sont prestigieux : Leopold Auer pour le violon, Rimsky-Korsakov pour l’instrumentation et Liadov pour la composition. Il y fait aussi la rencontre d’Anton Rubinstein et de Tchaïkowsky, dont l’art va l’impressionner. Très tôt, il entame une carrière de chef d’orchestre, à l’Opéra de Varsovie et à l’Orchestre Philharmonique National. Avec ce dernier, le 17 mars 1904, il accompagne un jeune homme de 17 ans dans le Concerto n° 1 de Chopin. Il s’agit d’Arthur Rubinstein, qui deviendra son beau-fils en 1932 par son mariage avec sa fille Nela, une danseuse. Mlynarski est nommé directeur du Conservatoire de Varsovie, où il s’est établi. Il y sera chargé de diverses responsabilités, au cours de sa carrière, ainsi qu’à l’Opéra. Il se fait connaître au-delà des frontières de son pays, en dirigeant à l’étranger, mais aussi en enseignant la direction d’orchestre de 1929 à 1931 à Philadelphie. De retour à Varsovie, il y décède en 1935. Mlynarski est compositeur à ses heures. Il laisse notamment une symphonie intitulée Polonia, un opéra-comique et deux concertos pour violon, ceux que le label Dux propose. On les connaissait déjà par un enregistrement Hypérion de 2014, paru comme n° 15 de la série « Le concerto romantique », avec Eugène Ugorski à l’archet, sous la direction de Michael Dworzynski à la tête du BBC Scottish Orchestra. De son vivant, entre 1910 et 1916, Mlynarski avait rencontré un grand succès à Glasgow et à Edimbourg comme chef d’orchestre. Les Ecossais, à travers Hypérion, lui rendaient ainsi un hommage à cent ans de distance.
Les deux concertos pour violon plongent l’auditeur en plein romantisme, comme si la musique n’avait pas évolué depuis l’époque de Wieniawski, dont les accents mélodiques se retrouvent en filigrane dans ces partitions qui, il faut le reconnaître, sont très séduisantes à l’oreille et ne dépareraient pas certaines affiches actuelles de concerts. Le premier d’entre eux date de 1897 et est créé à Odessa ; dès l’année suivante, il est couronné à Leipzig lors d’un concours de composition. Après une courte introduction orchestrale, l’Allegro moderato initial laisse le violon se lancer dans une narration élégiaque du plus bel effet, laissant l’instrument déployer une infinie tendresse qui chante avec une délicate émotion. Mlynarski maîtrise l’équilibre entre l’archet et les parties instrumentales, donnant à sa partition une allure de superbe symphonie concertante, assortie d’une cadence virtuose. L’Adagio qui suit se déroule dans une émouvante atmosphère méditative, avant un Allegro d’une brillante expressivité. Partition magnifique, d’une belle inspiration qui, de façon étonnante, va être éclipsée par le Concerto n° 2, créé en 1916, qui sera plus populaire en Pologne que son prédécesseur. L’œuvre, néoromantique, est plus complexe dans la structure mélodique de l’Allegro moderato et l’on y retrouve, comme le souligne judicieusement la notice, des influences de Richard Strauss et d’Elgar. Le second mouvement, Quasi notturno, baigne dans une douce ambiance, soulignant avec beaucoup de lyrisme des aspects nostalgiques, le violon semblant à l’écoute de lui-même, y compris lorsque l’orchestre a tendance à l’entraîner sur un terrain de plus vaste dialogue. Mlynarski, dont les épanchements romantiques sont inépuisables, confère à l’Allegro vivace final une ligne mélodique et harmonique au milieu de laquelle les traits s’épanouissent avec finesse, avant une coda majestueuse. On peut considérer que composer de cette manière-là relève peut-être trop de l’esthétique du XIXe siècle, mais en tout cas cela fonctionne, et l’on se laisse charmer par la qualité des thèmes, par leur agencement et par la conviction du compositeur.
Pour rendre justice à ces œuvres, le violoniste Piotr Plawner s’investit totalement. Né à Lodz en 1974, élève d’Iwona Wojciechowska (1947-2019), il compte à son actif une série de CD, chez Accord ou Naxos, qui sont consacrés à Bacewicz, Panufnik ou Philip Glass, mais aussi à Wieniawski, beau modèle pour aborder Mlynarski dont il joue les deux concertos sans pathos, avec un juste dosage de l’émotion, dans cet enregistrement effectué à Lodz en juin 2019 dans l’église évangélique Saint Matthieu, seul édifice luthérien de la ville. Il est idéalement soutenu par Pawel Przytocki, né en 1958. Ce chef d’orchestre, qui a notamment étudié avec Peter Eötvös, a dirigé la Philharmonie de Cracovie, dont il est originaire, la Philharmonie de Varsovie et l’Opéra de Pologne. Ici, il est à la tête de l’Orchestre Philharmonique Arthur Rubinstein, qui existe depuis 1915 sous la dénomination d’Orchestre Philharmonique de Lodz. Il a connu des baguettes célèbres, comme Hermann Abendroth, Serge Koussevitzky, Stanislas Skrowaczewski ou Emil Mlynarski lui-même. Il a pris le nom d’Arthur Rubinstein en 1984. Au-delà de leur passé familial, le violoniste-compositeur et le grand virtuose du piano sont ainsi réunis. On notera l’élégance de l’objet CD, coloré de façon lumineuse, à l’instar de son contenu chaleureux.
Son : 9 Livret : 9 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix