A la découverte de la musique chinoise

par

Fleuve jaune, Papillons amoureux et Musique classique de la Chine au XXe siècle
par Jean-Marie André
L'auteur, que vous pouvez lire en nos pages, est un passionné de la Chine. Depuis son éméritat en tant que professeur de chimie aux Facultés de Namur, ce Prix Francqui est invité chaque année en Chine durant plusieurs mois où il poursuit sa mission d'enseignement aux Universités de Nankin et de Pékin. Et s'il écrit pour Crescendo, c'est parce que son autre passion, c'est la musique. Aussi n'a-t-il pas résisté à la tentation de se pencher sur création musicale chinoise dans la vision d'une interaction culturelle qui reste assez mystérieuse à nos yeux d'Occidentaux et dont les questions se posent avec acuité lorsque l'on voit les musiciens asiatiques enfiler les grands prix de concours internationaux.
Il est piquant de constater que si la musique "classique" est une des premières victimes des coupes budgétaires, elle a été de tout temps et à travers le monde le vecteur de la démonstration de puissance et de richesse. Le phénomène est bien connu chez nous depuis la Renaissance et nous verrons combien elle fut sujet à propagande en République Populaire comme elle le fut dans l'ancienne URSS.
En scientifique qu'est l'auteur, il nous fournit pour chaque époque les grands moments de l'histoire et montre combien la musique y est liée. Si l'Occident s'est toujours prévalu d'une musique savante, ces pages nous rappellent que c'est dès le XXVe siècle avant J.C. que le savant Lyng Lun élabore la théorie du système pentatonique qui restera l'ADN de la musique chinoise et l'on retrouve quantité d'instruments utilisés dans les temps anciens. L'ouverture à la musique occidentale commence avec l'ambition missionnaire des Jésuites mais notre musique n'y rencontre pas trop de succès. Une autre avancée sera liée à l'installation de concessions durant la première moitié du XXe siècle : des traditions musicales extérieures vont pénétrer les villes portuaires, un orchestre municipal va se former à Shangaï, de célèbres chefs viendront le diriger, de grands solistes se produiront tels Kreisler, Heifetz, Rubinstein, mais, attention : "ni chiens, ni chinois", la fréquentation de ces concerts est strictement réservée aux étrangers. Heureusement, cela ne durera pas. Le mouvement du 4 mai 1919 va faire renaître un sentiment patriotique et le peuple reprend ses droits. Un premier conservatoire s'ouvre à Shangaï en 1927 avec pour professeurs des Russes émigrés. Se pose dès lors la question de l'union possible des deux traditions musicales -il ne s'agira jamais de fusion; la musique orientale est nourrie de l'imaginaire de l'image alors que la musique occidentale l'est davantage par l'imaginaire du son. Mais l'histoire de la Chine est bousculée. Trois zônes d'influences mouvantes se la partagent : le parti nationaliste opposé au parti communiste, le tout chapeauté par les tensions, et puis la guerre et l'occupation japonaise. Le nationalisme renaît plus que jamais. Et surgit une nouvelle question : la musique, un Art ou un Instrument politique? La Cantate du fleuve jaune de Xian Xinghai sera un bel exemple du réconfort qu'apporte la musique au peuple durant la guerre cicile et l'occupation japonaise et l'auteur prend soin d'en faire une analyse de contenu. 1942, le Forum de Yanan. Mao répond à la question posée : il s'agit de développer un art utile politiquement plutôt qu'un art pur et ce, grâce à une "armée culturelle". L'art doit s'adresser à la grande masse du peuple qui représente 90% de la population et ce que le peuple demande, c'est la vulgarisation. Tout est dit. Toutefois, la création musicale est importante pour idéaliser l'image du nouveau pouvoir (air connu !...). Des institutions musicales voient le jour, des Chinois vont étudier dans les pays frères. Pour fêter le 10e anniversaire du Parti, deux étudiants du conservatoire écrivent un concerto pour violon, le Concerto des papillons amoureux basé sur une vieille légende classique du pays. Première oeuvre écrite en Chine pour ce genre typiquement occidental, il devient très vite populaire et sera pour le violon ce que le Concerto du fleuve jaune est au piano, ce que sont pour nous les concertos de Beethoven, Brahms ou Tchaikovski. Il va connaître divers arrangements jusqu'au jour où Mme Mao lui trouve une inspiration féodale bourgeoise qui justifie son interdiction. La Révolution Culturelle -ses répressions, ses humiliations, ses exils vers les campagnes, ses suicides- est en cours. Mme Mao demande à un collectif de compositeurs un arrangement en concerto pour piano de la Cantate du fleuve jaune ; des mouvements sont spoliés pour faire place à des épisodes à la gloire du Grand Timonnier. Jean-Marie André s'attache à rendre sa place à ce concerto assez souvent joué dans nos contrées et souvent ridiculisé aussi. Autres dates importantes : 1971 et la visite d'Henry Kissinger suivie de celle de Richard Nixon. Les orchestres américains sont invités en Chine, dirigés par les plus grands chefs. 1976, la mort de Mao. Les universités et les conservatoires ouvrent à nouveau leurs portes. L'ambition nouvelle est la croissance économique, on se bouscule aux portes des instituts supérieurs. Une deuxième génération de compositeurs voit le jour, imprimant aux musiques chinoises la signature de compositeurs tels Chostakovitch, Bartok, Penderecki, Schoenberg, Stravinsky, Lutoslawski, John Adams, Olivier Messaien,... Les années '80 connaîtront une troisième génération se dirigeant vers une musique pure détachée du schéma d'une musique trop patinée des techniques occidentales. Mais il ne faut pas oublier 1989 et Tiananmen: la liberté d'expression n'est pas acquise même si les bourses et les visas vers l'étranger s'obtiennent plus facilement vers les Etats-Unis ou l'Europe. L'auteur rappelle quelques compositeurs de cette génération dont nous retiendrons Tan Dun et aussi Zhang Haofu, installé en Belgique depuis 1987.
Cet petit opuscule (138 pages) n'en est pas moins une mine qui répond, je pense, au souci de l'auteur: donner l'envie de connaître cette musique bousculée au fil de l'histoire mais dont l'écoute procure un plaisir poétique certain. Et pour aller plus loin dans la découverte, l'auteur fournit des pistes discographiques et bibliographiques.
Bernadette Beyne
2015, Académie Royale de Belgique, Collection l'Académie en poche, 138 pages, 5 €.
A commander sur www.academie-editions.be

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