Brahms romantique et réfléchi

par

Johannes Brahms (1833 - 1897)
Trio pour piano, cor et violon, op. 40 - Trio pour piano, clarinette et violoncelle, op. 114
Dieter Klöcker (clarinette), Sebastian Weigle (cor), Wolf Dieter Streicher (violon), Christoph Henkel (violoncelle), Claudius Tanski (piano)
1995-DDD-53’56-Textes de présentation en anglais, français et allemand- MDG 301 0595-2
Cet enregistrement du très estimé éditeur Musikhaus Dabringhaus & Grimm a quelque chose de mystérieux, puisque le livret (par ailleurs excellent) date clairement la publication de 1995, sans que rien ne donne à penser qu’il pourrait s’agir d’une réédition, pour autant que c’en soit une. Quoi qu’il en soit, l’idée de regrouper ces deux trios à composition atypique de Brahms est excellente, au point qu’on s’étonne qu’elle ne soit pas plus répandue. L’interprétation -confiée à des artistes pour qui ce type de répertoire semble ne pas avoir de secrets- n’est peut-être pas de celles qui bouleversent la discographie, mais le talent, la maîtrise technique, l’intelligence qu’ont les exécutants de ce répertoire et, surtout, leur invariable et irréprochable probité (on n’a clairement pas affaire ici à des superstars cherchant à tirer la couverture à elles) font forte impression.
Le disque s’ouvre par le magnifique Trio op. 40, où dès l’Andante introductif les interprètes abordent l’oeuvre avec un romantisme sérieux mais sans lourdeur, instaurant dès le début un climat romantique paré de couleurs très germaniques et sombres auxquelles le cor apporte une touche de mystère à la Weber. Dans le Scherzo, la maîtrise du corniste Sebastian Weigle (qui, à l’époque de cette parution, entamait à peine la brillante carrière de chef d’orchestre qui a été la sienne par la suite) et la façon dont il contribue à donner une ampleur quasi symphonique à l’ensemble impressionnent fortement, et il peut compter sur un pianiste très volontaire ainsi que sur un violoniste au beau timbre chaud. L’Adagio mesto permet à Wolf Dieter Streicher de faire entendre de fines couleurs, alors que le timbre du piano - est-ce dû à l’instrument ou à la prise de son?- est un peu mat. Le finale, où le cor se fait cor de chasse, est enlevé avec bravoure.
Au côté chevaleresque et parfois abrupt du Trio pour cor succède le ton modéré et automnal du Trio avec clarinette qui, comme si souvent dans les oeuvres tardives de Brahms (on pense bien sûr aux Fantaisies, Intermezzo et Klavierstücke pour piano), se complaît dans la douceur et l’introspection, alors que d’autres auraient pu choisir l’épanchement ou la véhémence. Et, se refusant à l’étalage d’émotions, l’Adagio n’en est pas moins touchant sans son ton doux-amer et parfois même austère, alors que le lyrisme sombre et sincère impressionne encore plus que la maîtrise de la forme. Ici aussi, l’interprétation est probe et sérieuse plutôt qu’éblouissante (ce à quoi la musique ne se prête de toutes façons guère). Les mélomanes à la mémoire longue se souviendront certainement de Dieter Klöcker (1936-2011) qui, à partir de la fin des années 1960, entreprit d’enregistrer à peu près tout le répertoire soliste pour clarinette classique et romantique, ainsi que d’innombrables disques de musique de chambre pour instruments à vent à la tête de son Consortium Classicum. Klöcker tient ici sa partie avec beaucoup de sobriété et de pudeur, aux côtés du pianiste Claudius Tanski, musicien sérieux et réfléchi, et du lyrique violoncelliste Christoph Henkel, qui lui aussi a fait du chemin depuis vingt ans.
Patrice Lieberman

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 8.5

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