A la Scala, un mirifique duo, Marianela Nunez et Roberto Bolle 

par
Onegion

Marianela Nunez et Roberto Bolle © Brescia e Amisano Teatro alla Scala

Pour achever sa saison 2016-2017, le Ballet de la Scala remet à l’affiche Onegin, un ballet que John Cranko avait conçu pour le Staatstheaterballett de Stuttgart au printemps de 1965. Et ce n’est qu’en février 1993 que l’ouvrage est entré au répertoire de la troupe milanaise qui le reprend ces jours-ci pour la septième fois dans une production splendide conçue par Pier Luigi Samaritani :

sous un habile éclairage dû à Steven Bjarke, le décor est un pastel délicat à la Fragonard avec une lisière de peupliers bordant le jardin de Madame Larina qui tournera au violacé sombre avec les arbres calcinés sur le lieu abandonné où se tiendra le duel ; les intérieurs sobres dénotent l’aisance d’une bourgeoisie qui n’a aucune commune mesure avec le luxe ostentatoire du Palais Grémine où trône une copie de l’ ‘Apollon et Daphné’ du Bernin. Et les costumes recourent à de tendres coloris que barioleront les uniformes chamarrés des officiers, le bleu outremer de la crinoline princière et les teintes obscures des redingotes imperturbablement portées par Onegin.
Quant à la partition, à l’instar de L’Histoire de Manon de Kenneth MacMillan, elle ne contient aucune page de l’opéra Eugène Onéguine ; mais elle est constituée intégralement de pages de Tchaikovsky émanant de nombre de pièces pour piano, d’extraits de Cerevichki, de Francesca da Rimini et du duo de Roméo et Juliette orchestrés, remaniés et arrangés par Kurt-Heinz Stolze selon les exigences de John Cranko. Et cet agencement adroit est restitué par l’orchestre milanais sous la baguette souvent brouillonne du jeune chef mo0scovite Felix Korobov.
Pour une troisième série de représentations sur la scène de la Scala, le danseur étoile Roberto Bolle reprend le personnage d’Onegin dont, la quarantaine passée, il a l’indéniable maturité. Elève de la Scuola di Ballo, il avait assisté à la première ‘in loco’ de février 1993 avant de camper Lensky en janvier 1997 ; treize ans plus tard, il se rendra à Stuttgart pour travailler le rôle-titre avec Reid Anderson, le directeur de la compagnie, et Georgette Tsinguirides, ex-assistante de John Cranko. Aujourd’hui, il a donc mûri sa composition dont il n’a aucune peine à traduire la retenue distante proche de la misanthropie ; son apparition dans le miroir du rêve lui confère brusquement une humanité qui tournera à la vilenie abjecte dans son comportement provoquant la jalousie de son ami. Il deviendra ensuite émouvant dans sa tentative de réconciliation, bouleversant lorsque les ombres du passé l’agripperont, déchirant quand ses bras tenteront d’étreindre désespérément son bonheur chimérique. Face à lui, Marianela Nunez, ‘principal dancer’ au Royal Ballet et qui a été sa partenaire dans Giselle à Costa Mesa, ne lui cède en rien en incarnant une Tatiana proche de l’idéal ; à son personnage imprégné de mélancolie rêveuse, elle prête une grâce aérienne qui la suspend dans ses envols, alors que ses approches de l’être aimé butent contre son incommunicabilité ; sur les pointes du désespoir, elle rédige sa lettre d’aveu avant d’ébaucher un solo désabusé devant l’imminence d’un duel ; et le dernier acte la verra user de sa maîtrise technique pour arborer sa félicité d’avoir épousé un prince puis sa détermination à rejeter le passé en déchirant l’aveu d’un repentir tardif. Sous les traits de Lensky, le jeune Claudio Coviello est remarquable par la fringante espièglerie qui soutient sa tendre approche d’Olga, dont Agnese Di Clemente trahit l’irresponsable ingénuité ; puis il exhibera la dignité du jeune loup dont l’honneur est bafoué, l’amenant à esquisser un solo éploré quelques instants avant ce duel qu’il exige péremptoirement. Mick Zeni est un Prince Grémine masquant sous la morgue aristocratique les ardeurs fougueuses que le temps n’a pas dissipées. Beatrice Carbone (Madame Larina) partage avec la Nourrice de Monica Vaglietti la sérénité d’une existence bien remplie. Au rideau final, d’interminables ovations pour le Corps de ballet, d’indéniable qualité, et pour le nouveau ‘couple’ Nunez-Bolle.
Paul-André Demierre          
Milano, Teatro alla Scala, le 18 octobre 2017

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