A Genève, l’OSR  au grand complet  

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Le 4 mai dernier, le concert de l’Orchestre de la Suisse Romande comportait l’indication énigmatique Le Double qui se référait directement à la première œuvre figurant au programme choisi par Bertrand de Billy : il s’agit de la Deuxième Symphonie d’Henri Dutilleux, commandée par la Fondation Koussevitzky pour commémorer le 75e anniversaire de l’Orchestre Symphonique de Boston et créée en cette ville le 11 décembre 1959 sous la direction de Charles Munch. Le compositeur déclarait à ce propos : « Deux personnages en un seul, l’un étant comme le reflet de l’autre, son double. Il ne s’agit nullement d’un concerto grosso, et je voulus au contraire éviter toute analogie avec des schémas néo-classiques ». Et c’est effectivement un petit ensemble de douze instruments (les vents par un, un clavecin, un célesta, deux violons, un alto et un violoncelle) qui entoure le pupitre de direction et qui impose ce climat mystérieux  émanant des timbales et de la clarinette qui mènera ensuite le dialogue avec l’imposant tutti. Le discours s’amplifie pour parvenir à un fugato intense que désagrégera le célesta rythmé par la percussion. L’alto solo imprègne l’Andantino sostenuto d’une nuance de tristesse qui contaminera l’ensemble des cordes puis se laissera dissoudre par l’intervention du violoncelle, du cor et de la trompette. Emporté par une rare énergie, le Final concède aux cuivres des effets jazzy que contrecarrent des bribes de choral qui parviennent à un paroxysme cinglant. Puis le rideau semble être tiré par des sonorités presque irréelles tissant une péroraison aussi envoûtante qu’apaisante.

En seconde partie, Bertrand de Billy présente une page que l’on entend trop rarement au concert, le Poème de l’Amour et de la Mer op.19 d’Ernest Chausson. Comme la Shéhérazade de Ravel, ce triptyque sublime fait intervenir une voix soliste mais pâtit d’un défaut identique, celui de la difficile intelligibilité du texte alambiqué de Maurice Bouchor. Comme n’importe laquelle de ses consoeurs, Marina Viotti, qui vient de triompher à l’Opéra de Lausanne avec Arsace de Semiramide et Bradamante d’Alcina, soigne sa diction dès les premiers mots « L’air est plein d’une odeur exquise des lilas » et développe intensément son legato jusqu’à « Faites-moi voir ma bien-aimée » qui conclut la quatrième strophe. Et c’est dans la tessiture grave que l’on comprend véritablement ce qu’elle nous dit. Avec bon sens, le flux orchestral  se déverse abondamment dans les brefs segments qui enchaînent les séquences chantées. L’Interlude médian sans intervention vocale devient ici parenthèse symphonique où le basson dialogue avec le violoncelle. La dernière partie, La Mort de l’Amour, permet à la voix de jouer des contrastes d’éclairage afin de parvenir au sommet tragique de «la danse effrayante et des feuilles froissées ». Par une sonorité blême est prononcé « Le temps des lilas et le temps des roses avec notre amour est mort à jamais ».

Le programme s’achève avec l’éblouissante Valse de Maurice Ravel que Bertrand de Billy fait sourdre de contrebasses à peine perceptibles qui produisent progressivement de voluptueuses vagues jusqu’à des tutti d’où se répand la débauche de coloris. Mais l’effectif de plus de cent instrumentistes épaissit délibérément un tissu orchestral qui n’en a aucun besoin, tant il est luxuriant. Qu’en auraient pensé les Monteux, Ansermet, Munch d’une autre époque ?

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 4 mai 2022

Crédits photographiques : Aurélie Raidron

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