A l’OSR, une jeune cheffe prometteuse, Ana María Patiño-Osorio en compagnie de Bertrand Chamayou 

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Pour le dernier concert de la saison 2023-2024, l’Orchestre de la Suisse Romande avait invité le chef Polonais Krzystof Urbanski qui devait présenter notamment la création en public de Reflections, concerto pour piano et orchestre de Michael Jarrell avec le concours du pianiste Bertrand Chamayou. Tombé malade au cours des répétitions, le chef a dû annuler sa participation. Et compte tenu de la complexité de cette commande conjointe de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France et de l’OSR, il a été convenu avec le compositeur que cette création serait reportée à une prochaine saison. Au pied levé, la cheffe assistante de l’Orchestre romand,  Ana María Patiño-Osorio a accepté de reprendre les rênes en substituant le Concerto pour piano et orchestre de Ravel à Reflections, tout en respectant le reste du programme.

En hors-d’œuvre bien fade est proposée d’abord l’orchestration que Claude Debussy élabora en 1897 pour deux des Gymnopédies d’Erik Satie composées neuf ans auparavant. De la version originale pour piano, Jean Cocteau disait : « La musique de Satie va toute nue ». Et l’instrumentation s’attache à la transparence de la première confinée à un dialogue du hautbois et de la flûte sur un canevas ténu de cordes alors que la troisième pare d’éloquence la cantilène des premiers violons enveloppée parle tissage étrange confectionné par la harpe et la cymbale.

Intervient ensuite Bertrand Chamayou, interprète du Concerto pour piano et orchestre de Maurice Ravel. Face à un tutti explosif qui s’arroge le droit de la primeur dans l’Allegramente initial, le soliste ne se laisse pas décontenancer en déroulant ses arpèges superposés et ses glissandi qui amènent un cantabile légèrement infusé de swing, alternant le jeu perlé et les attaques percussives, le stringendo virtuose et le trillo aérien. L’Adagio assai médian est mieux équilibré avec ce solo de plus de trente mesures en demi-teintes sombres qui finit par céder la place à la flûte suivie du hautbois et de la clarinette amplifiant le discours jusqu’au fortissimo du tutti. Par ses triples croches babillardes s’enchaînant imperturbablement, le piano enveloppe la ligne de chant du cor anglais éperdu de mélancolie avant de conclure sur un nouveau trillo qui se perd dans le lointain. Par contraste, le Presto final est acidifié par un piccolo criard imposant sa verve cinglante aux vents, alors que le soliste s’attaque à une toccata véloce accumulant les traits fulgurants jusqu’aux quatre accords conclusifs. Devant l’accueil enthousiaste du public, Bertrand Chamayou adresse un coup de chapeau à Michael Jarrell présent dans une loge en faisant découvrir son Deuxième Prélude pour piano requérant une virtuosité ébouriffante s’étiolant ensuite en un lyrisme rêveur.

En seconde partie, Ana María Patiño-Osorio dirige l’une des grandes symphonies de Tchaikovsky, la Quatrième en fa mineur op.36. Si les cuivres laissent échapper quelques couacs dans l’Andante sostenuto introductif claironnant un fatum inéluctable, le Moderato con anima trouve meilleure assise grâce au discours expressif des violons s’appuyant sur les cordes graves tout aussi éloquentes, pimentées par les bois. Les tensions ne peuvent pas empêcher les vents de sombrer dans la boursouflure. Mais l’intelligence du phrasé suscitée par la baguette de direction cultive le rubato et sait ménager la progression jusqu’au Più mosso conclusif. L’Andantino laisse le hautbois exprimer sa mélancolie avant d’innerver le cantabile des cordes d’une douleur lancinante qu’atténuera le basson solo soutenu par les cordes en points de suspension. En un presto échevelé est déroulé le Scherzo rendu fantomatique par le pizzicato ostinato que le Meno mosso des bois édulcorera d’inflexions rustiques. Le Final est emporté par une indomptable énergie qui produit un effet fulgurant sur le public acclamant avec vigueur cette jeune cheffe à l’orée d’une carrière importante, méritant ce magnifique bouquet de fleurs que lui tend Steve Roger, le directeur artistique ô combien reconnaissant.

Genève, Victoria Hall, 16 mai 2024

Crédits photographiques : Óscar Bernal

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