A Marseille, une fascinante Hérodiade 

par
Herodiade

© Christian Dresse

« Vision fugitive », « Il est doux, il est bon », « Ne me refuse pas », ces airs pouvaient être fredonnés par n’importe quel passionné d’opéra à Paris ou en province dans l’immédiate après-guerre et étaient immortalisés sur disque par un Michel Dens, une Régine Crespin, une Rita Gorr au début des années soixante. Aujourd’hui, cette ‘Hérodiade’ d’un Massenet première manière semble si loin de nous, au point de constituer une curiosité que peut afficher un théâtre, soucieux de son passé glorieux.

C’est ce qu’a décidé de réaliser néanmoins Maurice Xiberras, le directeur artistique de l’Opéra de Marseille. Et le résultat de cette opération de sauvetage est des plus probants.
A-t-on, de nos jours, les voix pour défendre ce répertoire ? Relevons d’abord le fait que, à part l’interprète de Salomé, Albanaise mais résidant en France depuis longtemps, l’ensemble de la distribution est d’expression française, nécessité inhérente à ce genre d’œuvre que minimisent nombre de responsables de programmation actuels. Ici, le plateau est dominé par le couple royal Hérode-Hérodiade : lui est incarné par Jean-François Lapointe, baryton canadien qui dessine un Tétrarque de Judée, veule dans ses ambitions, rongé par une libido inassouvie qui arrache des sons déchirants à son legato constamment expressif ; son épouse, campée par Béatrice Uria-Monzon, doit s’accommoder d’abord d’un vibrato devenu large qu’elle sait utiliser à des fins dramatiques pour justifier une ambition démesurée masquant une carence affective qui la rendra si bouleversante au dernier acte. Dans le rôle de sa fille, Salomé, ne lui cède en rien Inva Mula qui y investit totalement ses moyens de soprano lyrique et qui personnifie une créature fragile que va transcender une passion incontrôlable. L’objet en est le prophète Jean dont Florian Laconi exalte l’arrogance péremptoire par un aigu claironnant. Tout aussi impressionnante est la stature vocale et théâtrale donnée par la jeune basse Nicolas Courjal au devin Phanuel. Dans la même ligne il faut inscrire le Grand-Prêtre d’Antoine Garcin, la voix du temple de Christophe Berri ; par contre, reste en retrait le baryton Jean-Marie Delpas dans le personnage peu gratifiant du proconsul Vitellius. Et le Chœur de l’Opéra de Marseille, préparé par Emmanuel Trenque, est abondamment sollicité et répond remarquablement à toutes les exigences de la partition, ce que l’on dira aussi de la direction du jeune Victorien Vanoosten qui insuffle à l’Orchestre du théâtre une indomptable énergie, tout en sachant valoriser le pittoresque orientalisant de l’écriture instrumentale.
Pour une coproduction avec l’Opéra de Saint-Etienne, Jean-Louis Pichon construit un spectacle intelligent qui use des beaux éclairages de Michel Theuil et des cieux tourmentés imaginés par le vidéaste Georges Flores. Le décor de Jérôme Bourdin est fait de larges espaliers de bois constituant de véritables parois, alors que ses costumes, historicisants comme s’ils sortaient d’un péplum de la Cinecittà des années cinquante, arborent une unité de couleurs dorées à reflets d’argent. Et la mise en scène a une fluidité narrative toute cinématographique gommant les poncifs factices du ‘grand opéra’. Et le public ne boude pas son plaisir en décernant des ovations à l’ensemble de la réalisation.
Paul-André Demierre
Marseille, Opéra, le 28 mars 2018

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