A quel titre ? Die Entführung aus dem Serail à Luxembourg

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En janvier 2020, dans ces pages, Paul-André Demierre rendait compte de sa perplexité à la découverte de la façon dont Luk Perceval avait (mal)traité, au Grand-Théâtre de Genève, L’Enlèvement au Sérail de Mozart. Une bronca, plutôt rare en ces paisibles lieux genevois, avait marqué la fin de la représentation le soir de la première. Cette production fait étape au Grand Théâtre de Luxembourg. Elle a connu quelques changements de distribution, et c’est l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg qui est cette fois dirigé par Fabio Biondi.

Ayant vu et revu cette production, je voudrais, en tant que « consommateur culturel », m’insurger contre une façon de faire qui pourrait s’apparenter à de la « tromperie sur la marchandise ». En effet, ce qui est annoncé, c’est L’Enlèvement au Sérail de Mozart. Ce que l’on découvre sur le plateau, c’est une appropriation, qui plus est, radicale de cette œuvre.

Qu’on en juge : dans ce singspiel, tous les passages parlés du livret de Johann Gottlieb Stephanie ont été éliminés et remplacés par des extraits du « Mandarin miraculeux », un roman d’Asli Erdogan, une auteure turque en exil radicalement opposée au régime de son pays natal. Ainsi privée des informations que fournissaient les dialogues parlés, le Pacha Selim ayant été éliminé (un spectateur découvrant l’œuvre ne peut la comprendre), les chanteurs étant doublés par des comédiens âgés disant les textes d’Erdogan, la partition, elle aussi, a été revue : trois duos ont été supprimés, on y a inséré quelques séquences d’Ascanio in Alba, et le chant conclusif de louange à l’humanisme, effacé, est remplacé par An die Hoffnung, un lied d’une tout autre tonalité.

On reconnaît là des libertés que s’octroient régulièrement des metteurs en scène désireux de régénérer, actualiser, réveiller, déringardiser les partitions auxquelles ils s’attaquent. Qu’on ne me taxe pas, manichéennement, de ringardise : certaines de ses appropriations sont en effet parfois plus que bienvenues. 

Non, ce qui m’exaspère en l’occurrence, c’est que cette « relecture » n’est pas annoncée ! Ainsi, par exemple, pas mal de parents, soucieux de développer la culture de leur progéniture, pourraient se dire que cet Enlèvement constitue une excellente introduction à l’univers lyrique qui a leur prédilection…

Dans un cas pareil, il conviendrait simplement d’annoncer la couleur : « D’après L’Enlèvement au sérail », « Variation sur L’Enlèvement au Sérail », « L’Enlèvement au Sérail revisité », etc. C’est ce qu’a fait le si regretté Peter Brook avec ses La Tragédie de Carmen ou Une Flûte enchantée. C’est ce qu’Aurore Fattier fait ces jours-ci au Théâtre de Liège avec sa Hedda – variation contemporaine d’après l’Hedda Gabler d’Ibsen. Il n’y a pas « « tromperie sur la marchandise ».

Je ne m’étendrai pas ici sur la relecture de Luk Perceval, sinon pour dire qu’elle ne m’a pas convaincu : on y perd L’Enlèvement, on n’y trouve pas Asli Erdogan.

On me fera remarquer qu’à l’opéra, quelles que soient les péripéties d’une mise en scène, il y a toujours la musique et les voix. Oui, bien sûr, mais dans ce cas précis, les interprètes, quelles que soient leurs qualités, sont cesse bloqués dans leur élan par le silence et l’immobilité que leur imposent les parties parlées confiées à d’autres.

N’empêche, et c’est une consolation, Mozart, même ainsi (mal)traité, reste un bonheur.

Stéphane Gilbart

Grand Théâtre de Luxembourg, le 27 septembre 2022


Crédits photographiques : Carole Parodi

 

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