Les mondes sonores poétiques d’Ysang Yun 

par

Ysang Yun (1917-1995° : Silla - Legend for orchestra ; Violin Concerto III ; Chamber Symphony I. Sueye Park, violon ; Seoul Philharmonic Orchestra, Osmo Vänska. 2021. Livret en anglais, allemand, français et coréen. 67’13’’. Bis 2642

Figure bien oubliée de la musique de la seconde moitié du XXe siècle, Ysang Yun est un créateur des plus intéressants qui laisse une œuvre très personnelle, pont entre l’Asie et l’Europe. Fils d’un célèbre poète coréen, il étudie au Japon avant de retourner dans son pays s'engager dans le Mouvement pour l'indépendance coréenne en lutte contre l'occupation japonaise. Arrêté en 1943, il est emprisonné jusqu'en 1945. 

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il enseigne en Corée avant d'être happé dans les tourments de l'Histoire par la guerre de Corée. Récipiendaire d'un prestigieux prix national, il voyage à Paris pour y suivre des cours avant de s’installer à Berlin, en 1956, où il se perfectionne avec Boris Blacher et Josef Rufer. En 1966, son œuvre Reak créée au Festival de Donaueschingen, Mecque de la modernité, a un important retentissement mais le compositeur fait bientôt la une pour une bien autre histoire. Fervent partisan de la réunification des deux Corées, il est enlevé par les services secrets Sud Coréens et emmené à Séoul. Il y a est enfermé, torturé et condamné à la prison à perpétuité pour trahison, à cause d’un voyage effectué en Corée du Nord. L'intelligentsia musicale se mobilise en sa faveur : des stars comme Herbert von Karajan et Otto Klemperer aux compositeurs comme Igor Stravinsky, Karlheinz Stockhausen et Bernd Alois Zimmermann. Il est libéré en 1969 et obtient la nationalité allemande en 1971. Enseignant émérite, il est professeur à l’Université de Berlin et il fonde l'Institut de musique Isang Yun à Pyongyang en 1984, afin de dispenser aux Nord-Coréens les techniques de composition.  Très engagé dans la réunification et la paix, il tenta en vain d'organiser un concert avec des musiciens des deux Corée sur la ligne de démarcation entre les deux états, au lieu même de l'armistice de Panmunjom en 1953. 

Stylistiquement Ysang Yun adopte les préceptes du dodécaphonisme, base de toute l'avant-garde d’alors. Cependant, il mâtine ce principe technique et souvent rigide d’éléments flottants et colorés et la musique y gagne en richesse des timbres et des couleurs.

Le présent album propose des œuvres de sa dernière période créatrice.  Silla - Legend for orchestra (1992) est une litanie d’un peu plus d’un quart d’heure, traversée par des ondes de lumières et un scintillement orchestral. L’instrumentation subtilement fine et foncièrement poétique et le matériau orchestral sont scandés par des traits saillants qui ponctuent le discours. La beauté est certes froide mais ne cesse de fasciner. 

Le Concerto pour violon III (1992) est un aboutissement créatif. Composé à la suite d’une hospitalisation et à destination de sa petite-fille, apprentie violoniste qu’il imaginait interpréter sa partition, Ysang Yun déploie une palette d’effets et de nuances loin de tous canons imposés. Le violon, libre comme l’air, dessine un arc mélodique séduisant, secondé par une orchestration là encore très subtile. Les mélodies sont inspirées des musiques traditionnelles coréennes sans que cela en soit trop narratif ou permette d'identifier un thème ou l’autre. C’est un tableau musical abstrait d'aplats colorés qui ouvre les champs de toutes les illusions et les images. 

 En conclusion, la Symphonie de chambre II (1987) convoque un effectif instrumental plus réduit. Elle sculpte tout autant des paysages instrumentaux cette fois plus abrupts et contrastés. L’économie des moyens explore les tessitures et impose des ombres instrumentales plus grisées en préservant une masse orchestrale très mobile et fluctuante.  

L’équipe artistique est des plus engagées dans la restitution des facettes de ces partitions. Le Seoul Philharmonic Orchestra est excellent, à la fois souple et virtuose, sous la baguette experte et inspirée d’Osmo Vänska. Soliste du concerto pour violon, le violoniste Sueye Park est une narratrice musicale des plus convaincantes. 

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Pierre-Jean Tribot

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.