Akademie für Alte Musik Berlin : rigueur et joie

par

Bejun Mehta © Marco Borggreve

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Symphonie n°26 KV 184 ; récitatifs et airs extraits de Ascanio in Alba KV 111 et de Mitridate, re di Ponto KV 87 ; Andante – Allegro extrait de Thamos, König in Ägypten KV 345
Johann Christian Bach (1735-1782) : Grand overture op. 18/4
Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : arias extraites de Ezio
Johann Adolf Hasse (1699-1783) : Ouverture d'Ezio
Akademie für Alte Musik Berlin, Bernhard Forck, Konzertmeister – Bejun Mehta, contre-ténor

L'Akademie für Alte Musik Berlin, dès sa création en 1982, s'est entièrement consacrée à la musique du 18e siècle. Or ce 18e siècle, s'il accueille Bach et Vivaldi d'une part, Mozart et Haydn de l'autre, est troué en son centre d'une période peu connue : que s'est-il passé entre 1750 et 1770 ? Loin d'être un no man's land musical, ces années ont été un riche terrain d'expérimentation et de mélange des genres, lien indispensable entre deux esthétiques qui alors se confondaient : baroque et classicisme. La diversité de styles de cette époque a été synthétisée par le jeune Mozart, lors de ses voyages européens, et c'est justement à ses œuvres de jeunesse, encore marquées du sceau de la musique opératique italienne, qu'était consacrée la première partie du concert. La symphonie n°26, d'ailleurs, avait été originellement conçue comme ouverture pour une œuvre scénique. Dès les premières mesures du molto presto initial, le ton est donné : pas de place ici pour un hédonisme sonore. Les sonorités incisives des instruments anciens sont affinées à l'extrême, chez les cordes comme chez les vents ; un continuo discret au clavecin donne un peu de profondeur. Le résultat est une énergie électrique qui parcourt les musiciens et vient traverser le public avec des étincelles. C'est ce même courant qui anime le contre-ténor Bejun Mehta, et pourtant, au premier abord, sa voix a de quoi décontenancer : métallique, sans profondeur et parfois détimbrée. Cependant, il sait en jouer avec une grande intelligence, usant de ses irrégularités comme des effets expressifs. Doté d'un bon sens de la ligne et de qualités d'acteur, le seul véritable reproche qu'on pourrait lui adresser est d'ouvrir peu la bouche, ce qui nuit parfois à la clarté des voyelles. Et son contact avec l'orchestre, avec lequel il travaille régulièrement, est excellent.
La deuxième partie sera consacrée à des compositeurs antérieurs à Mozart et qui, tous, ont eu sur lui une certaine influence. Johann Christian Bach (Jean-Chrétien), notamment, dernier fils du « grand » Bach, jouissait de la profonde estime et de l'amitié de Mozart depuis leur première rencontre à Londres en 1764. Il partage avec Gluck et Hasse la volonté de rendre le texte -en italien, selon la tradition- très compréhensible et un sens original de l'orchestration. Dans les récitatifs et arias, plus encore que dans les pièces sans soliste, on perçoit nettement le travail que mène l'orchestre sur le rythme et le phrasé : les ralentis, arrêts, reprises de tempo sont gérés à la perfection. C'est peut-être là que réside le secret de l'Akademie et ce qui fait sa force : tendre à une totale maîtrise du temps.
Quentin Mourier
Bruxelles, Bozar, le 8 octobre 2014

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