Aleko et Iolanta en version de concert intelligemment menés à Angers-Nantes Opéra

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Deux œuvres de la tradition romantique russe, Iolanta et Aleko sont composés au même moment et créés à quelques mois d’intervalle, en décembre 1892 et en mai 1893.
Ultime opéra de Tchaïkovski,
Iolanta met en scène un univers de conte de fée avec des personnages historiques du Moyen Âge tardif. Aleko est l’œuvre diplôme d'un jeune Rachmaninov de 19 ans, écrit en 17 jours sur un sujet imposé par ses professeur. Le livret tiré des Tsiganes de Pouchkine recèle une grande modernité, ayant comme trame la trahison amoureuse et la liberté de la femme dans une tribu tzigane. La représentation en version de concert à Rennes, à Nantes et à Angers de la fin septembre au début octobre révèlent la force dramatique de ces deux opéras relativement rares, et surtout les magnifiques voix russes.

Une version de concert, mais pas n’importe laquelle. Elle fait appel au chef Andreï Galanov et à des chanteurs du Théâtre Bolchoï de Minsk en Biélorussie, qui connaissent parfaitement ce répertoire.
Une lumineuse inventivité s’invite à la scénographie,
qui installe l’orchestre sur un espace surélevé, au même niveau que le premier balcon de la salle, dégageant ainsi la moitié avant de la scène. Cela permet aux personnages et aux choristes d’évoluer librement et de se prêter à des jeux scéniques avec des mises en espace très proches d’une mise en scène : les entrées et les sorties de personnages, des gestes évoquant des accessoires… Au milieu d’Aleko, les choristes sont placés dans les coulisses pour créer un effet d’éloignement très réussi. Il existe bien une direction des chanteurs mais le programme ne mentionne aucun nom comme « metteur en espace ». Alors, on pense que ce sont les chanteurs eux-mêmes qui règlent ce ballet bien pensé et efficace. En effet, les mouvements et les regards théâtralisés des chanteurs vêtus en noir comme au concert et qui se déplacent dans un espace noir nous offrent curieusement des idées des costumes et des décors colorés !

Les chanteurs, avec leur technique de l’émission vocale spécifique, impressionnent l’auditoire. Dans le rôle d’Aleko, le baryton basse Vladimir Gromov met en valeur la puissance de sa voix, en accord avec l’image du personnage autoritaire et désespéré. Son autorité vocale se manifeste également dans le personnage du médecin maure Inb-Hakia dans Iolanta. En Zemfira, compagne infidèle d’Aleko, la soprano Anastasia Moskvina transmet par son timbre charnel le fort caractère de cette femme éprise de liberté, presqu’une femme fatale. Natallia Akinina, en vieille gitane dans Aleko et en Marthe, la nourrice d’Iolanta, est une mezzo soprano à timbre large que l’on veut entendre davantage dans un rôle plus conséquent.

Dans Iolanta, c’est avant tout la voix claire et incroyablement naturelle de la soprano Iryna Kuchynskaya qui domine dans le rôle-titre. Malgré son timbre limpide et aérien qui s’adapterait bien à un répertoire baroque, elle n’est pas dépourvue d’une puissance ; pour la scène finale, où le tutti de l’orchestre sonne pleinement, sa voix se détache nettement de la masse sonore et des amples voix masculines réunies. Les expressions subtiles dont elle fait preuve, accompagnées de ses jeux d’actrice convaincants — Iolanta est aveugle dans la majeure partie de l’œuvre — font d’elle une cantatrice sensible et éloquente. La basse typiquement russe Andrei Valentii aux souffles profonds est un Roi René à la fois intransigeant et humain. Le ténor Victor Mendelev incarne idéalement le chevalier Vaudémont avec des élancées passionnées mais parfaitement contrôlées ; Ilya Silchukou est un baryton dont la solidité vocale ne fait aucun défaut dans le rôle du Duc Robert de Bourgogne. Aleksandre Gelach (Alméric) et Vladimir Petrov (Bertrand), également présents dans Aleko, assument honorablement leurs rôles respectifs.

L’orchestre symphonique de Bretagne se montre particulièrement investi dans les importantes pages symphoniques aux couleurs variées qui ponctuent la partition d’Aleko. Andreï Galanov réussit à donner une épaisseur à l’ensemble, même si celui-ci manque parfois de subtilité dans les détails, malgré la volonté du chef perceptible dans la direction. Le Chœur d’Angers Nantes Opéra et le Chœur de chambre Mélisme(s) basé à Rennes, réunis pour cette production, réalisent une jolie performance malgré les aigus assez criards.

Alain Surrans, ancien directeur de l’Opéra de Rennes et directeur général d’Angers Nantes Opéra depuis janvier dernier, initie le rapprochement avec son ancienne maison. A l’instar de ce premier spectacle, trois autres productions communes aux deux institutions sont affichées au cours de cette saison (Cendrillon de Massenet en novembre/décembre, Un bal masqué de Verdi en mars et Le Vaisseau fantôme de Wagner en juin) en mobilisant non seulement deux orchestres selon les œuvres — l’Orchestre national des Pays de la Loire et l’Orchestre symphonique de Bretagne — mais également les deux chœurs précédemment cités. Avec la mutualisation de différents services et tâches, cette collaboration permettra des productions plus substantielles.
Pour plus de détails, se reporter aux sites de Angers Nantes Opéra
et de l’Opéra de Rennes.

Anges Nantes Opéra, le 2 octobre 2018.

Victoria Okada

Photo : Iryna Kuchynskaya © Laurent Guizard

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