Amnistie pour Salieri !

par

Antonio Salieri
par Marc VIGNAL
Le trente-neuvième opus de la collection Horizons éditée par Bleu Nuit contribuera-t-il à réhabiliter ce compositeur dont le nom n’est plus inconnu de personne (ou presque), mais dont l’œuvre aurait été enfoui sous la poussière du temps si quelques téméraires interprètes – parmi lesquels la Bartoli – ne s’étaient escrimés à le sortir de l’oubli? Il est permis de l’espérer. Qui d’autre, en tout état de cause, qu’un musicologue de la trempe d’un Marc Vignal aurait pu, avec autant de bonheur, endosser la responsabilité de signer la première biographie digne de ce nom en langue française consacrée à Salieri?
Réduit à une véritable image d’Epinal depuis la sortie de presse, en 1830, du célèbre ouvrage de Pouchkine Mozart et Salieri (1830), dont Rimski-Korsakov tira un opéra soixante-huit ans plus tard et Peter Schaffer une pièce de théâtre en 1979, avant que le cinéaste tchèque Milós Froman ne porte l’intrigue au grand écran il y a exactement trente ans, Antonio Salieri (1750-1825) demeure avant tout connu du grand public pour la prétendue rivalité qui l’aurait opposé au Maître de Salzbourg. Rivalité féroce, si l’on en croit les rumeurs persistantes colportées depuis la mort du grand Wolfgang Amadeus. Il faut dire que, selon certaines sources –dont le journal intime du célèbre neveu de Beethoven, Karl– Salieri serait lui-même à l’origine de ces rumeurs: au terme de son existence, l’esprit passablement obscurci, il se serait en effet accusé d’avoir empoisonné Mozart. Déchirante confession, suivie d’une tentative de suicide; il n’en fallait pas davantage pour que les racontars malveillants se répandent dans les couloirs du temps. De ces sombres soupçons naquit la légende. Marc Vignal ne s’appesantit point sur celle-ci; il laisse à d’autres le soin de faire le procès de Salieri, non sans insinuer, cependant, que son issue ne ferait guère de doute. Salieri démentit, à plusieurs occasions, avoir quelconque implication dans la mort de son illustre contemporain. Quant aux sources médicales, elles n’accréditent en rien la thèse selon laquelle Mozart aurait succombé à un empoisonnement. S’agissant de l’hypothèse, formulée par Froman, selon laquelle Salieri aurait été le commanditaire du Requiem d’Amadeus, elle relève de la science-fiction.
Salieri fut avant tout un grand compositeur d’opéras, Les Danaïdes, composé sous la direction de Gluck, demeurant sans doute le plus connu. Grâce au patronage de Joseph II de Habsbourg, il devint rapidement l’un des personnages les plus en vue sur la scène musicale viennoise. D’origine vénitienne, il contribuera au culte de l’opéra italien à la cour de l’Empereur. Sa renommée gagna Paris et l’Italie, avant de s’étendre au reste de l’Europe, ce dont témoigne la liste impressionnante de ses élèves: Reicha, Moscheles, Czerny, Süssmayer, Meyerbeer, Schubert, Liszt et Beethoven (qui lui dédiera d’ailleurs ses sonates pour violon op. 12), sans oublier… le second fils de Mozart lui-même!
Marc Vignal consacre la majeure partie de son ouvrage à la musique de scène de Salieri, particulièrement appréciée de son vivant –jusqu’à ce qu’elle commence, à l’aube du XIXe siècle, à être évaluée selon les critères mozartiens, ce dont elle souffrira inévitablement. De ses oeuvres religieuses (à l’exception du Requiem), il ne dit pas grand-chose, et de sa musique instrumentale (si l’on excepte les Variations sur les Folies d’Espagne), quasiment rien. Bien que, de par ses fonctions, Salieri fut amené à composer une centaine d’œuvres sacrées –dont quatre messe orchestrales, une messe a cappella, et un Requiem qu’il destina à ses propres funérailles–, ce n’est, certes, pas là que s’illustre le plus vigoureusement son talent.
Sans aucunement prétendre que Salieri mérite une place au Panthéon parmi les plus grands compositeurs dans l’historiographie musicale occidentale, Vignal nous donne de (re)découvrir celui que Anselm Hüttenbrenner se plaisait à appeler « le Talleyrand de la musique ». La monographie que voici n’aura pas la prétention d’épuiser son sujet; à prix doux, joliment illustrée, et agrémentée d’une discographie (non commentée), elle se savoure cependant avec la même joie que celle que l’on éprouve en dégustant une mignardise.
Olivier Vrins
2013, Editions Bleu Nuit, collection Horizons, 174 pages

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