Anniversaire Kremer… sans Kremer…

par

La Kremerata © Damil Kalogjera

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Ouverture », extrait de L’Enlèvement au Sérail, KV 384
Moisey Weinberg (1919-1996) : Symphonie de chambre n°1, op.145
Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Concerto n°1 pour piano, trompette et cordes en do mineur, op.35 – Rayok antiformaliste (arr. Andrei Pushkarev)
Robert Schumann (1810-1856) : Fantasiestücke, op73 (arr. pour trompette et piano)
Martha Argerich, piano – Alexei Mochalov, basse – Sergei Nakariakov, trompette – Kremerata Baltica
Une soirée organisée au pied levé et assez curieuse a été proposée au public de BOZAR. Pour des raisons évoquées plus tôt dans notre journal, le violoniste Guidon Kremer a annulé sa participation à la tournée européenne célébrant son 67ème anniversaire. De fait, deux soirées des trois initialement prévues ont été maintenues. Nous avons assisté à la soirée du 27 février où se sont succédés Martha Argerich, Sergei Nakariakov et Alexei Mochalov, accompagnés par l’excellent Kremerata Baltica, orchestre de chambre fondé par Kremer en 1997. Dans un ordre différent que celui annoncé, l’orchestre débute avec une lecture très éclairée de l’Ouverture de L’Enlèvement au Sérail de Mozart. Eclairée puisque sans chef, les musiciens développent un travail remarquable sur l’écoute et sur le rapport entre chaque pupitre. Le soin porté aux dynamiques et aux nuances est apprécié tandis que l’énergie qui émane du groupe captive l’auditeur. La première partie se conclut par la Symphonie de chambre n°1 de Moisey Weinberg. Compositeur du 20e siècle, son langage se rapproche de ceux de Chostakovitch, qu’il rencontra durant la guerre, et Prokofiev. Weinberg, qui refusa de se plier aux exigences du commissaire de la culture en 1948, fut marginalisé par le parti et fit trois mois de prison en 1953 pour ses liens familiaux avec son oncle, « ennemi du peuple ». Dans un langage néoclassique et plus averti, l’orchestre développe à nouveau ici un travail sur l’homogénéité du son grâce à une palette de dynamiques et couleurs explosive. Chacun des quatre mouvements se voit exploré par une volonté accrue de précision et de détails.
Mais c’est en seconde partie que les choses se gâtent. Pour le plus grand plaisir des mélomanes, Martha Argerich prend possession de la scène de la salle Henry le Bœuf pour exécuter une œuvre qu’elle apprécie : le Concerto n°1 pour piano, trompette et cordes. Ce qui ressort de la prestation, c’est avant tout une maîtrise parfaite du clavier, se fondant avec lui en le domptant d’un bout à l’autre. La manière dont elle amène chaque phrase nous incite à croire que tout est facile : les doigts volent au dessus des touches, semblent effleurer le clavier et pourtant, c’est un jeu solide, robuste, virtuose et incroyablement musical qui ressort. Une fois de plus, cette grande dame du piano démontre ses qualités de chambriste avec simplicité, décontraction et humilité. Le jeune Sergei Nakariakov se veut plus discret, avec des interventions précises, claires et d’une justesse notable.
Première curiosité de la soirée : les deux artistes partent, reviennent, ne semblent pas savoir quoi faire, discutent alors que le public les acclame. Finalement, ils reprennent le dernier mouvement, de meilleure qualité. Place ensuite à Schumann et sa Fantasiestücke op.73, arrangée pour trompette et piano. L’exécution nous touche moins, notamment par des tempi relativement rapides. Mais le timbre doux et chaleureux de la trompette, associé à la finesse de l’accompagnement offre une lecture intéressante. Pas de bis cette fois, ce qui suscitera quelques huées de la part du public.
L’ordre du programme ayant changé et sa version papier n’étant pas très limpide, la transition entre les œuvres a entrainé un mouvement de foule vers la sortie alors qu’il restait l’opéra satiro-comique de Chostakovich, Rayok antiformaliste. De fait, et devant un public légèrement réduit, Alexei Mochalov débute l’œuvre dans une atmosphère d’incompréhension. Arrangée par Andrei Pushkarev (percussionniste de l’orchestre), l’œuvre mélange satires, pastiches et autres ironies liées au discours du congrès de 1948 où le compositeur et Prokofiev furent dénoncés comme « formalistes ». Grâce à la parfaite illustration de la basse et à la participation énergique de l’orchestre, devenu aussi chœur pour l’occasion, le concert se termine dans une ambiance chaleureuse et amusante. Malgré les petits soucis évoqués, cette soirée aura marqué les esprits par sa qualité et son programme passionnant.
Ayrton Desimpelaere
Bozar, le 27 février 2015

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