Anthologie frescobaldienne à l’orgue et… au piano… mésotonique !

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Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Arie, Toccate, Canzoni, Partite, Correnti, Capricci, Ricercari... Michele Fontana, piano accordé au tempérament mésotonique, orgue Antegnati de la Basilique palatine de Mantoue. Elena Bertuzzi, soprano. Matteo Zenatti, ténor. 2021. Livret en italien, anglais. TT 67’23 + 72’49. Fluente Records FL 28158.02

Formé à l’orgue et au piano au sein du Conservatoire de Vérone, Michele Fontana s’entend aussi à la technique (prise de son, mixage, post-production) qui lui valut diplôme à Modène. Une double compétence qui l’a conduit à créer son studio d’enregistrement puis l’actif label Fluente Records en 2018, déjà fort d’une vingtaine de parutions dans divers genres dont le jazz et la chanson. 

Le projet-phare de ce label repose sur la diffusion de l’œuvre intégral pour clavier de son compatriote Girolamo Frescobaldi. Sept volumes de téléchargement proposent ainsi ce corpus dans l’ordre chronologique des recueils : Il Primo Libro delle Fantasie a quattro (1608) ; Toccate e Partite, Libro Primo (1615) ; Ricercari e Canzoni Francesi, Libro Primo (1615-1618) ; Il Primo Libro di Capricci (1624) ; Fiori Musicali (1635) ; Il Secondo Libro di Toccate (première édition 1627 [la pochette indique pour date la révision de 1637]) ; Canzoni alla Francese in partitura (1645). Le double-album qu’a reçu votre magazine rassemble sur deux CDs une anthologie de tous ces enregistrements, sauf le volume 7. Avec seulement cinq plages à eux trois, les volumes 1, 3 et 4 sont sous-représentés dans l’ensemble des quarante-et-une pièces, qui propose toutefois un large éventail des genres abordés par le compositeur italien. On notera la participation vocale (pas impérissable) d’Elena Bertuzzi et Matteo Zenatti dans le Magnificat, le Hinno isste Confessor mais aussi un Recercar et un Capriccio « obbligo di cantare ».

Les pages du CD 2 sont jouées sur l’idiomatique Antegnati (1565) de la Basilique palatine de Mantoue, qu’avaient déjà requis Roberto Loreggian pour le Secondo Libro di Toccate (Brilliant, 2008) et Ivana Valotti pour une anthologie piochée au Codice Chigi (Tactus, 2019). La principale originalité : choisir non un clavecin, mais un piano ? Une option anachronique puisque le « clavicembalo col piano e forte »  n’apparut qu’au début du XVIIIe siècle avec le facteur Bartolomeo Cristofori (1655-1731). Certes, l’aventure avait déjà tenté quelques iconoclastes. On se souvient ainsi du Frescobaldi Dialogues de Francesco Tristano Schlimé capté à la Scène Bastille en novembre 2006, paru chez Sisyphe. La radicale innovation (détrompez-nous si pareille affaire fut déjà essayée et commercialisée) osée par Michele Fontana est d’avoir fait accorder son Steinway D274 selon un tempérament mésotonique. Par les bons soins de Giuseppe Mirandola. Un projet hybride, inouï, que le livret nous présente comme « une expérience d'écoute moderne mais en même temps ancienne et pure, préservant les affects contenus dans la musique de Frescobaldi grâce à l'accord mésotonique du XVIIe siècle et au respect de la pratique d'exécution baroque. »

Sur la photo de couverture, l’interprète cultive un mimétisme avec le célèbre portrait de Frescobaldi gravé par l’Abbevillois Claude Mellan (1598-1688). Et son jeu tient de la métamorphose tant, dans le versant pianistique, la douceur du phrasé induit un autre visage que celui qui émane des habituelles lectures sur clavecin. Ganté dans des phrasés doux, souplement galbés, le flux des chants et contrechants envoûte. Peut-être au détriment des hiatus et aspérités harmoniques, mais que ce lyrisme est avenant, subtil, nuancé (les trilles !)…  Chaque pièce raconte une histoire, pudique, précieuse. On placerait au sommet les vignettes des Partite sopra l’aria di Monicha, et l’agogique diffractée des Partite sopra Ciaccona. Au-delà de l’instrument inattendu et son tempérament qui promettaient la bizarrerie, la surprise provient surtout des vertus proprement artistiques de cette prestation hautement inspirée : elle coule de source, avec une insolente évidence. Et puisque Michele Fontana est aussi un organiste accompli, on ne peut que recommander ce double-album, invitant à se plonger dans cette intégrale entreprise loin des radars médiatiques et qui mérite le détour.

Son : 7,5 (orgue) – 8,5 (piano) – Livret : 8 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 4 (chant) - 9 (orgue) - 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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