La Pellegrina, un mariage serenissime à Florence en 1589

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Intermedi della Pellegrina. Florence 1589. Musiques de Cristofano MALVEZZI (1547-1597), Luca MARENZIO (1554-1599), Giulio CACCINI (ca.1550-1618), Giovanni de BARDI (1534-1612), Jacopo PERI (1561-1633) et Emilio de CAVALIERI (1550-1602). Rossana Bertini et Elena Bertuzzi, sopranos ; Candida Guida, alto ; Paolo Fanciullacci, ténor ; Marco Scavazza, baryton ; Mauro Borgioni, basse. Coro Ricercare Ensemble, Compagnia Dramatodia ; Modo Antiquo, direction Federico Maria Sardelli. 2019. Livret en italien et en anglais. Sous-titres en italien, anglais, français, allemand et coréen. 78 minutes. Un DVD Dynamic 37856.

Il y a quelques semaines, nous avions signalé l’existence d’un DVD publié par le label Château de Versailles (CVS019) intitulé Stravaganza d’amore ! La naissance de l’opéra chez les Médicis. Sous la direction de Raphaël Pichon, le Chœur et l’Orchestre Pygmalion proposaient, dans le cadre d’un concert public, une série de pièces couvrant la période de 1589 à 1611, la date intermédiaire de 1607 correspondant avec la création à Mantoue de l’Orfeo de Monteverdi. Parmi ces pièces, certaines d’entre elles émanaient de La Pellegrina, ensemble d’intermèdes composés par plusieurs compositeurs à l’occasion du fastueux mariage à Florence, en 1589, du Sérénissime Don Ferdinand Medicis avec Christina de Lorraine, duchesse de Toscane. Un hasard de calendrier veut que le label Dynamic propose, en vidéo et en première mondiale, une reconstitution de cette Pellegrina dans les lieux mêmes de la fête, c’est-à-dire le Palais Pitti et ses Jardins de Boboli. C’est un spectacle conçu à l’occasion du Mai florentin, édition LXXXII, filmé les 16 et 18 juin 2019

Le concert Pichon était convaincant, avec des côtés musicaux et vocaux d’une parfaite réussite ; on pouvait dès lors se réjouir d’avoir en plus l’évocation visuelle d’une cérémonie qui avait mis en joie la population florentine de la fin du XVIe siècle. Hélas, il faut déchanter ! Ce que l’on nous montre n’est guère enthousiasmant : le spectateur du XXIe siècle présent au Palais Pitti y a peut-être trouvé son compte (quoique nous en doutions), mais ce n’est pas notre cas. On a la sensation d’assister à un événement de petite envergure, du style de ceux qui sont destinés aux touristes en attente de sensations. Dès le départ, le public est invité à se répartir en quatre groupes derrière un drapeau de couleur qui va lui servir de guide et le faire déambuler. Cela se déroule le soir, et la pénombre peut se révéler gênante car les couleurs de ce direct sont parfois fades. Comme l’action elle-même, mise en place par Valentino Villa, qui nous met en présence de six figurants, des danseurs/domestiques dans un milieu cossu, auxquels on attribue l’un ou l’autre objet symbolique selon les intermèdes (de type mythologique ou amoureux), comme une sphère représentant l’harmonie à la première scène, ou ailleurs un crâne dans un cube en verre. Plus tard, certains d’entre eux (qui représentent les mariés, si nous avons compris l’intention) joueront au tennis ou au golf et tireront à l’arc, avant de réintégrer le groupe. Le mariage est transposé plus ou moins à notre époque, de manière frivole, les six chanteurs solistes étant affublés de costumes extravagants (chaussures et perruques compris) et excentriques, qui sont hauts en couleurs, ce qui n’est pas à dédaigner dans certains passages, mais qui rappellent les années 1970 de façon outrancière. Les choristes sont de leur côté revêtus d’habits modernes en blanc. Tout cela n’est guère emballant, et ce n’est pas la séquence finale, assortie de tambours, au cours de laquelle des jongleurs de drapeaux multicolores font étalage de leur adresse, qui réconcilie avec un spectacle qui manque d’élégance et est loin de plonger dans l’extase celui qui le regarde. N’oublions pas les textes de liaison, d’une banalité absolue, qui sont débités en italien par une radio annonçant, entre autres, l’arrivée de la mariée « à 22 heures et peut-être bien une minute plus tard » !

Dans tout cela, il y a de la musique, il ne faut pas l’oublier. Heureusement, a-t-on envie d’ajouter. A l’époque, plusieurs auteurs de textes (Ottavio Rinuccini, Giovanni de Bardi, Giovanni Barbara Strozzi et Laura Lucchesini) et plusieurs compositeurs ont été sollicités. Malvezzi se taille la part du lion avec quatre intermèdes, Marenzio est présent dans deux d’entre eux, Caccini, Bardi, Peri et Cavalieri dans l’une des six parties. Les solistes du chant tirent leur épingle du jeu dans ce contexte qui n’est pas idéal, en particulier la soprano Rossana Bertini dont les interventions sont les plus fréquentes et qui témoigne d’un bel abattage. Les chœurs et l’orchestre, dirigés par Federico Maria Sardelli, sont convaincants et bien en situation. La partie vocale et musicale est la seule consolation d’un spectacle somme toute de premier degré et qui a raté l’essentiel : la féerie. On se consolera en disant qu’il reste de beaux jardins que l’on aimerait parcourir au milieu d’un édifice seigneurial, pour en apprécier les absolues beautés, comme l’allée bordée de cyprès ou la fontaine de l’Océan.

Note globale : 5

Jean Lacroix

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