Après l’entracte « Fortunio » d’André Messager 

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Hasard de mes pérégrinations à l’opéra, après le Mignon de Liège, le Fortunio de Nancy. Deux « opéras-comiques », deux œuvres plutôt légères, destinées initialement à un public venu vivre de belles émotions qui ne l’engageaient ni ne l’effarouchaient pas trop et lui valaient un bon divertissement socio-musical. Mais les deux fois, des œuvres qui, finalement, se révèlent de réelle intensité. Ainsi, si ma critique de Mignon était significativement titrée « De l’opérette à l’opéra », cette fois, pour ne pas reprendre le même titre, j’ai choisi « Après l’entracte ».

C’est qu’en effet, la première partie de l’œuvre de Messager est éminemment légère, avec ses situations et personnages typés. Une petite ville de province profonde, son notable (le notaire André), la belle et prude épouse de celui-ci (Jacqueline), un régiment qui passe (et son séducteur galonné de capitaine Clavaroche), un jeune homme timide et poète (Fortunio). Tout est prêt pour une sorte de vaudeville avec un mari-papa, sa femme qui « se réveille » dans les bras du capitaine, et la bonne idée du « chandelier », une sorte de paratonnerre : Fortunio, leurre amoureux qui distraira le mari, le trompant sur la réalité de la situation. Léger ? Cela commence par une partie de pétanque, cela nous vaut des vers immortels : « Il était gris, la nuit était noire », « C’est un morceau de roi, c’est un morceau pour moi » ; et bien sûr un amant caché dans le placard ! La musique et les airs sont à l’exacte mesure de cette histoire attendue. Agréables à écouter.

Mais après l’entracte, Jacqueline et Fortunio, confrontés à leur -inévitable- histoire d’amour, à l’issue de laquelle d’ailleurs, c’est le capitaine qui portera « le chandelier » sont aux prises à des sentiments plus intenses, qui s’expriment dans des notes et des airs tout aussi intenses. Et c’est alors qu’André Messager prouve qu’il excelle dans un art musical plus dense, plus riche en connotations, en évocations. Et d’ailleurs, Marta Gardolinska, rappelons-le, la nouvelle directrice musicale de l’Opéra National de Lorraine, délicate et savoureuse dans la première partie, amplifie à juste titre et avec réussite cette mutation de l’œuvre.

Dans une mise en scène bienvenue de Denis Podalydès -qui a évidemment le sens du rythme théâtral- les interprètes ne ratent pas non plus l’occasion de nous toucher davantage. Le Fortunio de Pierre Derhet exprime magnifiquement le passage du rêveur à l’amoureux inquiet, exalté, emporté ; la Jacqueline d’Anne-Catherine Gillet est successivement savoureuse en épouse confite en affection pour son « papa » de notaire, en amante inventive et en amoureuse emportée et tout aussi inventive ; le Clavaroche de Pierre Doyen est ganache suffisante à souhait. Ils nous réjouissent. Bien secondés notamment par Franck Leguérinel-maître André et Philippe-Nicolas Martin-Landry.

Loin de la fureur et du bruit shakespearien si typiques de tant d’opéras, nous passons donc une excellente soirée de divertissement lyrique bienvenu. Oui, ça fait du bien. 

Stéphane Gilbart

Nançy, Opéra National de Lorraine, le 28 avril 2022

Crédits photographiques :  Jean-Louis Fernandez

 

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