Après les concertos pour piano, l’œuvre symphonique de Pancho Vladigerov

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Pancho Vladigerov (1899-1978) : Œuvres orchestrales, volume 1. Symphonies n° 1 op. 33 et n° 2 pour cordes op. 44 « Mai » ; Elégie d’automne pour orchestre op. 15 ; Ouverture de concert op. 27 « Terre » ; Ouverture héroïque op. 45. Orchestre symphonique de la Radio nationale de Bulgarie, direction Alexander Vladigerov. 1970-1975. Livret en allemand et en anglais. 140.51.  CD Capriccio C8050.

Le label Capriccio persiste et signe. Voici un nouvel album consacré au compositeur postromantique bulgare Pancho Vladigerov, dont nous avons recensé en octobre dernier, dans les colonnes de Crescendo, un remarquable coffret de trois CD reprenant ses cinq concertos pour piano et orchestre. Nous invitons le lecteur à s’y référer pour les données biographiques de ce créateur peu connu chez nous. Encensé dans son pays de son vivant, Vladigerov est toujours adulé à Sofia, où sa maison natale a été transformée en musée.   

En proposant un « volume 1 » de l’œuvre symphonique de Vladigerov, qui reprend des enregistrements Balkanton réalisés à Sofia entre 1970 et 1975, Capriccio laisse la porte ouverte à une suite, car le label bulgare a publié dans les années 1970 une trentaine de disques consacrés au compositeur, dirigés pour la plupart par son fils Alexander. L’écriture de Vladigerov s’inscrit dans la grande tradition romantique slave, dont il ne s’écartera jamais, demeurant toujours dans l’héritage de la tonalité. Ses cinq concertos pour piano avaient démontré une forte densité expressive, une virtuosité transcendante et une orchestration riche en couleurs et en contrastes. Le constat est le même lorsque l’on aborde le domaine symphonique. Parmi les partitions que l’on découvre ici, représentatives de la période entre 1933 et 1949, l’Ouverture de concert « Terre » de 1933, à forte tendance nationale, joue sur les deux significations que l’on peut attribuer au mot-titre, celui-ci désignant le sol natal avec trois thèmes populaires qui lui servent de base, mais aussi la terre au sens large, donnant à cette page, vaste fresque au souffle grandiose d’une vingtaine de minutes, une dimension lyrique plus universelle. 

Quatre ans plus tard, en 1937, Vladigerov orchestre son Elégie d’automne de 1922, qui faisait partie des Trois Pièces pour piano op. 15. Cette courte évocation de la nature est sous l’influence d’images impressionnistes, dans un discours clair et expressif. Vladigerov est un amoureux de l’invention constante de couleurs et de tons qui peuvent se révéler parfois déclamatoires. C’est le cas de l’Ouverture héroïque de 1949, à l’instrumentation puissante et enflammée. Il s’agit d’une page liée à un événement à portée patriotique, comme la Symphonie n° 2 de la même année dont nous allons reparler. Elle fait allusion au 9 septembre 1944, date à laquelle la Bulgarie, alliée au IIIe Reich, dépose les armes face à l’armée soviétique pour entrer dans la sphère d’influence de l’URSS, après un putsch mené par les communistes locaux. Lorsque Vladigerov compose son ouverture en 1949, elle célèbre le cinquième anniversaire de cet événement. La notice, signée par Christian Heindl, explique que depuis la chute du mur de Berlin, bientôt suivie d’élections destinées à mettre en place un état indépendant, ce 9 septembre est plutôt considéré de nos jours comme une continuité dans la privation de la liberté. On y retrouve des motifs folkloriques et des couleurs nationales, mais aussi des allusions à des mélodies juives. Vladigerov, d’ascendance juive par sa mère, était conscient des atrocités commises en Europe, et la partie centrale de l’œuvre est une plainte mélancolique qui évoque les terribles souffrances encourues pendant ces années de guerre. L’Ouverture héroïque s’achève dans une atmosphère épique et jubilatoire, comme si elle voulait dessiner un avenir meilleur. On a rapproché cette œuvre d’une durée de vingt minutes de la plus concise Ouverture solennelle op. 96 de Chostakovitch, écrite en 1947 pour célébrer les trente ans de la Révolution d’Octobre. 

Une caractéristique de l’art orchestral de Vladigerov est la présence fréquente, foisonnante et démonstrative des cuivres et d’une abondante percussion, avec des rythmes très marqués et une inventivité qui se renouvelle. Les œuvres ici gravées en sont de bons exemples, les deux symphonies y compris. La première, qui date de 1939/40, se situe dans une période dramatique de l’histoire. La Bulgarie va bientôt signer un pacte avec l’Allemagne, comme lors du premier conflit mondial, et se ranger à ses côtés. La pression des événements qui prennent un tour tragique imprègne une partition au caractère héroïque, composée dans une structure traditionnelle et basée sur des chants et des danses du folklore bulgare. Vladigerov les utilise avec habileté, y mêlant des thèmes personnels, et introduit des atmosphères tour à tour lyriques et animées, avec un final grandiose et solennel, sous la forme d’une reprise du thème principal du premier mouvement. Vladigerov a dédié cette Symphonie n° 1 au compositeur Joseph Marx, qui était son ami et qu’il avait bien connu lors de sa collaboration d’une bonne dizaine d’années avec le Deutsches Theater de Berlin, au cours desquelles Vladigerov travailla avec Max Reinhardt. La Symphonie n° 2 est datée de 1948 et est destinée aux cordes. En quatre mouvements de vastes dimensions, cette partition, dont le titre symbolise la « Fête de la jeunesse » célébrée dans maintes régions du pays le premier jour de mai, se nourrit elle aussi d’airs nationaux, dont un hymne du XVIIIe siècle. Vladigerov était une personnalité apolitique ; cette symphonie peut être considérée, en tout cas dans son appellation, comme une concession au régime communiste, mais l’introduction solennelle, l’impression de rêve dessinée par le second mouvement, la valse lente du troisième et l’Allegro con fuoco final s’inscrivent bien dans la ligne constante de cette inspiration riche en harmonies, au sein laquelle les motifs folkloriques demeurent prioritaires. 

En toute logique, un volume 2 viendra compléter le portrait symphonique d’un créateur qui vaut vraiment le détour. On pense notamment à la Rhapsosie vladar et aux Danses bulgares, que le label Naxos nous a récemment restituées dans une version avec l’Orchestre Philharmonique de Russie dirigé par Nayden Todorov. Mais les archives de Balkanton n’ont pas encore livré tous leurs secrets ; c’est le cas du Poème juif, que Chostakovitch considérait comme l’une des pages les plus importantes du XXe siècle, et que l’on souhaite ardemment voir réédité. Hélas, ce premier volume n’est pas des mieux venus sur le plan technique. Les enregistrements ont été réalisés entre 1970 et 1972, et la saturation sonore est plus gênante que dans l’édition des concertos pour piano. Nous avions déjà signalé le phénomène qui, malgré les travaux de restitution effectués dans un studio viennois, se manifeste bien plus dans les moments orchestraux que dans les interventions pianistiques. Cet album s’adressera donc essentiellement aux amateurs de partitions peu connues ou aux admirateurs de Vladigerov, d’autant plus que l’orchestre de la Radio bulgare, dirigé avec feu par le fils du compositeur, est en pleine forme.

Son : 6    Livret : 9    Répertoire : 8    Interprétation : 10

Jean Lacroix           

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