Attachante intégrale des Componimenti musicali de Gottlieb Muffat
Gottlieb Muffat (1690-1770) : Componimenti musicali per il cembalo. Sept Suites en ut majeur, sol mineur, ré majeur, si bémol majeur, ré mineur, sol majeur. Alexandra Nepomnyashchaya, clavecin. Livret en anglais. Avril 2023. Deux CD 66’51’’+ 78’10’’. Linn CKD 739
Élève de Johann Joseph Fux (c1660–1741), organiste de la Cour viennoise, professeur des familles aristocrates : même si la postérité l’a moins honoré que son père Georg, Gottlieb Muffat fut un des musiciens les mieux payés de la capitale autrichienne, jusqu’à sa pension obtenue en 1764, quand disparaissait Rameau. Certaines partitions oubliées dans les collections de la Singakademie de Berlin refirent surface voilà une vingtaine d’années, furent enregistrées en première mondiale par Naoko Akutagawa, et contribuent à reconsidérer la stature de ce compositeur qui écrivit essentiellement pour le clavier. En la matière, son opus majeur pour le clavecin reste le Componimenti musicali per il cembalo constitué dans la décennie 1730, publié à Vienne. Rassemblant sept sections groupées par tonalité, et couronnées par une ambitieuse Ciacona en sol majeur, ce recueil s’inscrit parmi les derniers avatars de la Suite au XVIIIe siècle, même si elles n’en portent pas le nom.
Dans l’ordre chronologique, Susanne Shapiro (Musical Heritage Society) à l’ère du vinyle, puis Borbála Dobozy (Hungaroton), Vladimír Rusó (Trevak), Mitzi Meyerson (Glossa), Naoko Akutagawa (Naxos), Roberto Loreggian (Brilliant) s’étaient déjà penchés sur l’intégralité de ce corpus. Muffat consigna avec soin son prolixe vocabulaire d’ornementation (une soixantaine de nuances), qu’observe avec attention l’élève de Richard Eggar, son époux à la ville et coproducteur exécutif de ce double-album. Alexandra Nepomnyashchaya a aussi considéré avec discernement la question des reprises, veillant à l’équilibre structurel des œuvres.
Pour son parcours a été choisi un instrument de Joel Katzman (1991) d’après un Ruckers de 1638, dont la richesse harmonique habille avec opulence les pages polyphoniques, magnifie le contrepoint de la Fugga a quatro. Quand ces cahiers réclament du bagou, l’interprète russe s’en empare souvent avec volontarisme (Hornepippe et Gigue du lot en si bémol majeur), sait affirmer son tempérament : Courante en sol majeur, alacrité finale de la série en ut majeur, et plus généralement dans les pages conclusives, troussées avec brio. Pour la Courante en ré majeur ou tel Rigaudon bizarre, et à vrai dire presque partout, on saluera une habile articulation.
Pour autant, à d’autres moments, on dirait que la tension se distend, hésitant entre le tendre et le loquace, ou n’osant investir à plein le discours. On pourrait certainement tirer une rhétorique plus caractérisée pour des pièces de genre comme La Coquette ou le Menuet en cornes de chasse. La sensibilité du jeu ne se superpose pas toujours intimement aux prémices du style galant courtisées par les nombreuses incitations affettuoso ou spiritoso. On en vient à se demander si le raffinement ne devrait davantage habiter les replis (Menuet en ré mineur), si dans les Sarabandes l’expressivité ne mériterait de se creuser (sol mineur), d’affranchir la mobilité de l’indifférence (ré majeur). La grande Chaconne variée résume l’attrait de cette impeccable interprétation, détaillée avec science et panache, mais où l’on attend cette touche de personnalité qui scellerait une vision plus ultime qu’attachante.
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8,5